Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/196

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sont incomparables, mais encore le même plaisir, quand il est dit s’accroître ou diminuer, ne reste point le même et dans ses phases successives n’a point de commune mesure. Au contraire, en tant que désirés ou repoussés, les douleurs, les plaisirs les plus dissemblables, peuvent être jugés égaux, supérieurs ou inférieurs. Sous ce dernier rapport, on peut aller jusqu’à comparer et mesurer les plaisirs ou les douleurs d’individus différents, et l’arithmétique morale de Bentham ainsi rectifiée reprend ses droits. Je la considère comme le salut de la sociologie.

Mais pourquoi une distinction analogue entre les états intimes en général, en tant que sentis et en tant que crus, serait-elle moins admissible ? En tant que sentis, ces états sont en voie non pas de transformation, mais plutôt de transsubstantiation continuelle, incomparables à eux-mêmes d’un moment à l’autre : en tant qu’affirmés ou niés, ou plutôt en tant que perçus conformément à un certain nombre de jugements de reconnaissance ou de différenciation, inconsciemment formulés avec une certaine force, ces états peuvent être l’objet de comparaison et de mesure non seulement avec eux-mêmes mais entre eux. Les psychophysiciens se sont bornés en général à comparer les divers degrés d’intensité d’une même sensation, d’un son, d’une couleur ; mais ils se permettent aussi de comparer, au point de vue de l’intensité relative, les sensations des divers sens. D’autres savants même ont cru pouvoir établir des rapprochements de ce genre entre les sensations appartenant à des individus différents.

On sait les discussions interminables, plus bruyantes que