Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/199

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de grandir ? Mais alors nous tombons dans le sens objectif. Or, objectivement, une même tache bleue ou jaune est jugée plus étendue dans la mesure où nous la jugeons plus distante, c’est-à-dire où nous croyons que de visible elle deviendrait tangible par nous, moyennant un plus grand nombre de pas… Mais ne nous égarons pas encore dans l’analyse de cette idée de distance et négligeons-la. Commençons par une remarque fort simple, qui nous acheminera à comprendre peut-être la formation des notions d’espace et de temps à la fois.

Nous voyons très grand notre champ visuel, tandis que nous croyons et voyons très petite la pupille des autres hommes par où pénètre le pinceau lumineux où tout leur champ visuel à eux, qui pourtant leur paraît très grand, est renfermé. Pourquoi ce très petit rond éclaire de leur rétine leur paraît-il très grand à eux ? Parce qu’ils discernent une foule de choses qui absorbent toute leur capacité de juger visuellement. Et pourquoi nous paraît-il très petit ? Parce que, avec notre vue ordinaire, nous y discernons fort peu de points. Mais quand, avec le microscope, nous y découvrons de nombreux détails, — c’est-à-dire nous trouvons à y épuiser presque le nombre maximum d’actes de jugements visuels dont nous disposons - il nous paraît aussi très grand[1].

De même, nous sentons très longue une douleur névralgique

  1. Il nous paraît très grand, quoiqu’il ne soit pas jugé par nous très éloigné, puisqu’il est là, nous le savons, à portée de notre main. Nous avons cependant, sans en être dupes, l’illusion hallucinatoire de la distance des choses que nous percevons ainsi et qui remplace momentanément notre champ visuel. C’est là l’effet d’une association enracinée d’idées ; car, habituellement, la plupart des objets dont la vue remplit notre champ visuel sont plus ou moins distants de nous et non contigus à nous.