Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/205

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à bannir toute contradiction de mon esprit. Ces champs visuels hypothétiques, innombrables, que j’ai créés pour y loger ceux de mes états de conscience qui ne trouvent pas à se placer dans mon champ visuel réel et n’ont la force d’y déloger aucun des occupants, conviennent à une partie seulement des représentations de ma mémoire, à celles dont j’affirme que leur objet est quelque part, et qu’il est re-visible, re-tangible sous condition, identiquement le même. Mais il est d’autres souvenirs dont je nie que leur objet existe quelque part, et dont, loin d’affirmer qu’il est susceptible d’être perçu de nouveau sous certaines conditions, j’affirme au contraire qu’il ne saurait me réapparaître identique sous n’importe quelles conditions. Ce sont les souvenirs de mes propres états subjectifs et jugés tels, et, par induction, des états subjectifs que j’attribue aux autres moi, à tous les êtres en général. Nous créons le temps, pour y placer les représentations si nombreuses de cet ordre et éviter la contradiction des deux jugements opposés qui leur sont inhérents, l’un affirmant leur caractère réel (car on ne les confond pas avec de simples rêves), l’autre le niant. Une ségrégation s’opère ainsi, logiquement, dans notre mémoire, entre les choses passées et les choses éloignées. Celles-ci diffèrent de celles-là en ce qu’elles sont jugées re-perceptibles identiquement, tandis que celles-là sont par nature irreperceptibles,car elles font partie d’un ensemble de choses qui, à raison du caractère essentiellement irréversible de cette quatrième dimension de l’espace, le temps, peuvent bien se répéter semblables mais jamais les mêmes.


En vertu des considérations qui précédent et d’autres semblables,