Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/230

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Désir, souverainement supérieur à tout autre, — le désir du ciel chrétien ou du Paradis musulman, ou de l’honneur militaire, — est le fond même de l’âme. De là son autorité pratiquement absolue qui n’a pas besoin de s’exprimer pour agir et qui donne un air d’impératif catégorique à son dispositif sans motifs apparents. D’ailleurs, le il faut de la conclusion est toujours senti comme un il faut et non comme un plaisir, et en cela la formation du devoir moral diffère profondément de celle du plaisir nouveau qui naît parfois de l’exercice du vouloir. Le devoir aussi, en s’exerçant, finit cependant par devenir une source de joies inespérées pour l’homme de vertu.

Donc, ne confondons pas le devoir avec le vouloir, ni surtout le vouloir avec le désir. Le vouloir est le désir aiguillé par le jugement[1]. Comme le désir, il peut être positif ou négatif. La volonté inhibitoire, négative commence, d’après Preyer, à dix mois, et c’est peut-être bien tôt. Mais le désir inhibitoire, négatif, est, en revanche, ce qu’il y a de plus primitif : l’enfant débute dans la vie en repoussant visiblement quelque chose qui le gêne. — Observons que, dans cette double chaîne croisée de volitions et de désirs dont nous venons de parler, on voit souvent une volition négative au service d’un désir positif ou vice versa.

D’après ce qui vient d’être dit, il semble que la définition du sentiment soit maintenant assez facile : ce serait simplement

  1. D’ailleurs, l’activité judiciaire et l’activité volontaire se mélangent toujours intimement dans la vie sociale. Le jugement d’un tribunal quelconque est en même temps une volition. Seulement le caractère judiciaire est plus marqué dans les décisions des tribunaux civils et le caractère volontaire dans celles des tribunaux criminels.