Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/232

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désirons certaines choses et nous en repoussons d’autres sourdement. Or, quand un fait se montre à nous qui, à la fois, réveille en sursaut quelqu’un de nos désirs virtuels ou assoupis et contredit nos attentes, dément nos sécurités, nous sommes émus. La surprise, le plus élémentaire de nos sentiments, celui qui est à la racine de tous les autres, est la rencontre d’une de nos attentes avec un événement qui la contredit. Elle est d’autant plus forte que l’attente contredite était plus crue et que le jugement porte sur la vérité de cette contradiction est plus affirmé. Et disons, à ce propos, que le sauvage, l’enfant, ont des attentes de ce genre beaucoup plus fortes que celles de l’homme adulte et civilisé. À mesure qu’il se civilise, l’homme s’attend de moins en moins fortement aux choses auxquelles il s’attend, précisément parce qu’il s’attend à un plus grand nombre de choses[1]. Voilà l’explication du prétendu misonéisme des sauvages et des enfants. Ils sont plus heurtés que nous par une nouveauté inattendue, mais ajoutons que ce heurt, s’il leur cause des déplaisirs souvent plus marqués, leur procure souvent aussi des joies beaucoup plus vives. En outre, une foule de choses nouvelles nous étonnent et nous choquent (ou nous font plaisir), qui ne les étonnent ni ne les choquent en rien (ni ne leur sont agréables).

Quand j’ai vu briller la flamme au-dessus de mon toit, qu’est-ce qui s’est passé en moi ? Je m’attendais à trouver mon cabinet, mon appartement, dans leur état habituel, mes enfants en bonne santé, et toutes ces sécurités se changent brusquement en anxiétés, et en même

  1. De même, plus grossit le nombre de nos désirs, au cours de la civilisation, et plus s’affaiblit eu moyenne l’intensité de chacun d’eux.