Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/245

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qui serait grotesque et pathologique s’il était atteint par des causes organiques. À l’inverse, l’amour-propre individuel, sous le coup d’une humiliation collective, peut subir une dépression qui serait maladive si elle ne s’expliquait par la même contagion imitative. Il en est de même de tous les sentiments. La colère et la peur, sans nul motif raisonnable, peuvent s’élever au paroxysme dans une armée emballée ou atterrée. Il y a beaucoup de phobies d’origine sociale qui ne sont assurément pas moins insensées que beaucoup de celles dont les aliénistes se plaisent à allonger la liste : par exemple, « la peur de ne pas paraître assez avancé », ou la peur du jésuite, ou la peur du juif, ou la peur du microbe, cette dernière véritablement délirante dans certaines grandes villes. L’engouement tour à tour et la haine, injustifiés pareillement, d’un peuple pour un homme, ne présentent pas moins les caractères du délire. Si l’on voyait un particulier, dans son appartement, Passer, sans rime ni raison, de la confiance la plus aveugle à la méfiance la plus déraisonnable, comme il arrive journellement parmi les gens les plus froids et les meilleurs calculateurs de la Bourse, en proie à des emballements et à des paniques inexplicables, on le ferait enfermer dans un asile. Mais, quand tout le monde est malade à la fois, la maladie devient l’état normal, et l’anomalie consiste à s’écarter de cet état en plus ou en moins, même quand on se rapproche ainsi de la santé, au sens individuel du mot.

Revenons à l’orgueil. J’ai noté ailleurs l’insociabilité primitive des orgueils, convictions qui naissent contradictoires, et la sociabilité essentielle des humilités apparentes appelées