Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

si vous n’y veillez avec soin, sera tout autrement difficile à guérir que celle des personnes ; car les personnes sont susceptibles d’amitié, de pitié, de sympathie et d’équité entre elles, mais les groupes ne sont capables que de calculs intéressés et d’une politique où n’entre rien de sentimental.

Comment se résoudra cette nouvelle contradiction ? Sera-ce par la formation de groupes de plus en plus vastes et de moins en moins nombreux, comme il arrive sur les continents civilisés où les orgueils patriotiques à concilier se réduisent finalement à cinq ou six grands amours-propres nationaux ? Mais, si tout le progrès se borne à cela, il sera nul, car l’ombrageuse et meurtrière rivalité de ces amours-propres géants est proportionnelle à leur taille. Ou bien, comme il arrive aussi au cours de la civilisation, une nouvelle espèce de politesse, une urbanité internationale appelée diplomatie, viendra-t-elle peindre ces orgueils en humilités pour les rendre supportables les uns aux autres ? Oui, mais cela même ne suffit pas. Les humilités, après tout, si elles étaient vraies, ne se contrediraient pas moins que les orgueils ; et, quand elles sont feintes, comme d’habitude, elles n’abusent personne à la longue. — Une bien meilleure et plus radicale solution serait donnée au problème par la généralisation, aussi bien parmi les États que parmi les particuliers, d’une variété supérieure d’orgueil, non plus sauvage et venimeux, mais greffé et savoureux, étrangement adouci par la culture. Peut-être est-ce à l’élaborer que travaille à son insu notre régime démocratique, pente où l’évolution sociale semble aboutir par tant de chemins. La conviction d’être égal aux plus grands, fondée sur le sentiment