Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/262

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opposition de la joie et de la Tristesse, qui, clair-obscur vivant, fait toute la magie, tout l’intérêt, tout le pittoresque de la vie humaine.


XI

J’aurais dû, si je n’avais cru devoir lui réserver une place d’honneur, traiter de cette opposition plus haut : la joie et la tristesse, en effet, sont essentiellement des sentiments-croyances, et diffèrent en cela du couple dont ils dérivent, du plaisir et de la douleur. La joie est foi avant tout : il y entre de l’espérance, de la confiance et de l’orgueil, combinés en une attente de choses propres à combler des désirs futurs, attente qui, elle-même, parce qu’elle est jugée certaine, comble le désir présent. Ce désir se satisfait continuellement en même temps qu’il s’engendre et se renouvelle sans cesse. Et, assurément, sans lui, la joie, réduite à une froide certitude, ne serait pas ; mais ce qui fait que ce désir est joie, c’est qu’il est foi. Il n’en est pas ainsi du plaisir. On ne saurait confondre les deux, pas plus que la monnaie d’or avec la monnaie de papier. C’est la sensation immédiate de l’odeur de violette qui, indépendamment de tout jugement de localisation, de causalité ou de nomination, me fait plaisir, simplement parce qu’elle a éveillé en moi un désir spécial qu’aussitôt elle satisfait, le désir de sa durée. On songe à peine, ou on ne songe pas, à désirer la durée d’une certitude joyeuse, car on sent qu’elle est vôtre, qu’elle fait partie de vous-même au lieu d’être, comme une sensation, de provenance étrangère et accidentelle. — Ce que je dis de la joie et du plaisir s’applique, inversement, à la tristesse et à la douleur.

La joie et la tristesse accentuent d’autant mieux leur caractère de sentiment-croyance, leur opposition se rattache d’autant