Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/295

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Il en est des vertus et des vices comme des talents[1]. Ces vocations morales résultent d’une application des manières de vouloir à tel ou tel genre d’objets du désir, à telle ou telle forme de l’activité. Un homme se livre à l’alcool, au jeu, au libertinage, à l’ambition, à l’avarice, ou est sobre, prudent, chaste, modeste, généreux, avec l’emportement ou la douceur, la mobilité ou la persévérance, la logique ou l’incohérence de son caractère. Une conversion n’est pas un changement du caractère, mais plutôt son déplacement. À la manière dont une femme se livre à la galanterie, on peut conjecturer l’espèce de dévotion ou de sainteté dont elle édifiera ses compagnes dans un couvent si jamais elle y entre. Il n’y a pas un caractère spécial pour les criminels, mais la carrière criminelle est l’emploi anormal de beaucoup de caractères normaux. Toutefois il est certain que tous les caractères sont susceptibles de se modifier par la culture, et de même toutes les natures d’esprit. À toutes les distinctions qui précédent, il convient donc d’ajouter celles des caractères bruts et des caractères taillés pour ainsi dire, des natures d’esprit brutes et des natures d’esprit cultivées. La croyance sauvage est brusque et soudaine dans son ascension à la conviction, mais la culture retarde sa marche. La croyance civilisée gravit cette côte pas à pas et la redescend, en revanche, plus facilement. Le désir sauvage est violent et brusquement changeant,

  1. Y a-t-il des contre-talents, comme il y a des vices opposés aux vertus ? Oui, l’on peut donner ce nom à ces vocations artistiques qui consistent à faire laid, et à ces vocations scientifiques qui consistent à penser faux, II y a des esprits justes et des esprits faux, et il faut savoir gré à M. Paulhan, dans un ouvrage récent, de s’être attaché, avec succès, à préciser cette opposition vague.