Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/341

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la moyenne, peuvent être toutes utilisées dans la vie sociale, et, en réalité, trouvent toutes leur emploi dans une société bien ordonnée, les variétés extrêmes, dont l’écart est très grand, ne sauraient jouer des rôles sociaux équivalents. Ces variétés extrêmes, en effet, sont, d’une part, les aptitudes éminentes, les dons exceptionnels, des hommes de génie ou des héros, d’autre part les infirmités intellectuelles ou morales des fous et des scélérats. Aussi n’y a-t-il aucune symétrie à établir entre les premiers, qui remplissent le monde de leur gloire et du rayonnement de leurs exemples, et les seconds, qui peuplent nos prisons ou nos asiles d’aliénés.

Ainsi, l’évolution progressive, qui n’est ni réversible ni semblable d’une civilisation à une autre, s’opère par une suite d’anomalies individuelles dont les contraires ne jouent aucun rôle social et ne parviennent jamais à les neutraliser. Et, quand ces anomalies heureuses ont émis des initiatives fécondes, le rayonnement imitatif de celles-ci se répand parmi les individualités dites ordinaires, c’est-à-dire présentant des caractères moins tranchés - non moins précieux ni moins personnels pour cela - et se conserve grâce, en partie, au balancement symétrique des variétés faibles incarnées dans ces individus. Par la variation dissymétrique se créent les nouveautés, par l’opposition elles se conservent. Le progrès est dû à la rupture intermittente d’un équilibre conservateur.

Qu’on me permette ici d’ouvrir une parenthèse.

La question du rôle des grands hommes, à propos de laquelle Stuart Mill fait la remarque citée plus haut, est d’ordinaire fort mal posée : on demande si c’est par des causes générales ou par des causes individuelles que les faits sociaux