Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/354

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essentielle, autant que la communicabilité de la croyance et du désir, à l’idée de valeur. Dans l’idée de vérité, il y a aussi, mais moins visiblement, une combinaison des deux quantités psychologiques ; une croyance n’est jugée vraie qu’autant qu’elle répond au moins à une curiosité de l’esprit, et même le plus souvent - s’il s’agit de « vérités » religieuses ou morales - à certaines aspirations élevées de la conscience, à certains besoins impérieux du cœur.

La vérité d’une idée, au sens social du mot, augmente dans la mesure où la foi en cette idée se répand dans un plus grand nombre d’esprits d’égale importance sociale et se fortifie en chacun d’eux. Elle diminue dans le cas inverse. La valeur, ou, pour parler plus exactement, l’utilité d’un produit augmente ou diminue dans la mesure où le désir de ce produit, ainsi que la foi en lui, se propage ou se resserre. Les lumières ne sont donc pas moins une quantité que les richesses. Comment se fait-il, cependant que l’on parle couramment du chiffre de la fortune publique, que l’on puisse évaluer à 200 milliards environ la richesse nationale de la France, et que personne n’ait songé à dresser, même avec le degré le plus lointain d’approximation, l’inventaire de la Vérité nationale, la statistique de ses accroissements ou de ses déchets ? Parce qu’il existe une mesure commune des richesses, la monnaie, et qu’il n’existe pas de mesure commune des connaissances. Mais pourquoi cette monnaie spirituelle n’existe-t-elle pas ? Parce que le besoin ne s’en est pas fait sentir ; car, à la différence des richesses, qui ne peuvent s’échanger que moyennant le sacrifice des unes aux autres, et qui, par suite, ont besoin d’un mètre sur lequel on