Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

empire unique, c’est un petit nombre d’empires partiels et rivaux, entre lesquels s’établit ce rapport monstrueux, essentiellement immoral, purement mécanique et brutal, dont l’équilibre européen est l’échantillon le plus fameux et le plus caractéristique[1]. Faire ainsi, avec des millions de personnes humaines agglomérées, pétries ensemble, quatre ou cinq Puissances sans âme, sans foi ni loi, qui cherchent à s’entre-dévorer comme de grands reptiles des anciens âges, ou à s’entre-appuyer comme de grands blocs de rochers, physiquement, mécaniquement, voilà l’œuvre propre du militarisme. Valait-il la peine de verser tant de sang pour aboutir à cette monstruosité calamiteuse ?


XIV

Les nations, à cette heure, s’arment jusqu’aux dents pour la guerre des nations, les classes pour la guerre des classes ; et la paix armée des classes, prélude, dit-on, de la catastrophe sociale qui s’annonce, est encore plus effrayante que

  1. J’accorde aussi veloutiers aux apologistes de la concurrence qu’elle ne tend pas nécessairement à, l’établissement d’un monopole absolu et unique. Les raisons qu’ils donnent à cet égard sont excellentes, malheureusement pour la concurrence peut-être ; car un monopole absolu et unique, s’il pouvait s’établir, finirait par s’adoucir et se faire pardonner ses premiers excès. Mais la vérité est qu’elle aboutit seulement à quelques grands colosses industriels ou commerciaux qui exercent, chacun dans un certain rayon, un monopole relatif et partiel et entre lesquels se nouent des relations quasi diplomatiques, pour maintenir leur équilibre européen à eux. Mais je ne veux pas poursuivre ce rapprochement entre la guerre et la concurrence : il serait très injuste pour cette dernière dont les développements se lient à ceux de la convivance, comme il a été dit plus haut, et qui, comme telle, a rendu d’immenses services pratiques.