Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/429

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malgré l’excellence de leurs intentions, sont moins propres à résoudre les difficultés sociales qu’à les soulever, parce qu’ils attaquent les questions sociales par leur côté le plus abrupt et le moins maniable, le côté téléologique, désirs, besoins, volontés, choses nées souvent en lutte. Mais le juriste baptise tout cela droits, choses réputées toujours d’accord. Et, par un travail de déduction analogue à celui du géomètre, il détermine facilement ce qui est juste, en partant du principe accrédité qui s’offre toujours à lui, à un moment quelconque. Il y a seulement cette différence, que les axiomes géométriques ne changent pas, tandis que les axiomes juridiques se modifient lentement, suivant une pente d’ailleurs irréversible.

Où nous conduira cette évolution de la justice et de la Morale ? Je n’en sais rien ; mais je sais bien qu’elle travaillera toujours dans l’avenir, comme elle a toujours travaillé dans le passé, à élargir par degrés le cercle social et à y orienter les désirs individuels dans les directions où ils s’accordent le plus, où ils se heurtent le moins. À ce dernier point de vue, n’est-il pas clair que les activités sont plus aisées à accorder que les avidités ? Ce n’est donc point, je crois, dans le sens du communisme, du désir de possession surexcité, mais plutôt dans le sens de la coopération, du désir d’action stimulé, que le courant nous porte[1]. Les perspectives de

  1. À propos de coopération, je ne puis passer sous silence les idées de M. Gide sur l’avenir des sociétés coopératives de production. On verra alors, dit-il, le capital servant d’instrument au travail, tandis que, sous le régime actuel, ou plutôt passé déjà, on voit le travail servir d’instrument au capital. Vraie ou non, l’assertion implique une inversion remarquable. Entre les deux termes de cette opposition s’interpose comme état zéro une étape que nous traversons maintenant : à savoir, le capital et le travail se servant mutuellement