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MÉLANGES

ESTHÉTIQUE

3 juin 1882

Voilà un mot qu’on entend souvent prononcer dans notre bonne ville de Québec depuis quelques jours.

Il ne s’agit pas de cette partie de la philosophie qui traite du beau, mais d’une espèce de manie, de douce folie qui a fait beaucoup de victimes en Angleterre, qui envahit les États-Unis, et dont les premiers symptômes se manifestent sur les bords du Saint-Laurent.

Cette maladie intellectuelle n’est guère connue au Canada, et plusieurs de nos amis nous ont demandé d’en faire l’analyse. C’est chose assez difficile, car l’esthétisme, comme le libéralisme, ne se laisse pas saisir à bras le corps. Ça se sent, ça se voit, ça se comprend même, mais ça ne se définit guère. Cependant, essayons.

L’esthétisme a pris naissance il y a quelques années en Angleterre, pays du roast beef et du plumb-pudding. C’est un peu le plumb-pudding et le roast beef qui l’ont fait naître, quelque paradoxal que cela puisse paraître. Voici comment :

Attristés par le matérialisme doré, par l’amour effréné du confort et du luxe qui règnent en Angleterre, désolés du manque de goût, du manque de toute aspiration poétique, quelques rêveurs — il y a des rêveurs même parmi les enfants de la positive Albion — quelques rêveurs, disons-nous, s’avisèrent de révolutionner la société anglaise en lui infusant l’amour du beau. Voilà, croyons-nous, la thèse des partisans de l’esthétique. Nous ne pouvons dire de quelle manière ces braves gens ont développé leur thèse ; ils ont probablement attrapé quelques vérités par ci par là, juste assez pour faire accepter leur théorie ; mais nous avons tout lieu de croire qu’ils sont tombés dans d’affreuses exagérations.

Quoi qu’il en soit, la thèse des esthéticiens est complètement perdue de vue, et c’est par l’antithèse seule qu’ils sont aujourd’hui connus.