Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/109

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il venait lui ravager sa terre et égorger ses hommes. Garins, vieux et débile, n’était plus en état d’aller combattre. Aucassin, son fils, l’eût remplacé avec gloire, s’il l’eût voulu. C’était un jeune homme grand et bien fait, beau comme le jour ; mais l’amour qui tout surmonte l’avait vaincu, et il était tellement occupé de sa mie, qu’il n’avait voulu jusqu’alors entendre parler ni de chevalerie ni de tournois.

Souvent son père et sa mère lui disaient : « Cher fils, prends un cheval et des armes, et va secourir nos hommes. Quand ils te verront à leur tête, ils défendront avec plus d’ardeur leurs murs, leurs biens et leurs jours. — Mon père, répondait Aucassin, je vous ai déjà fait part de mes résolutions : que Dieu ne m’accorde jamais rien de ce que je lui demanderai, si l’on me voit ceindre l’épée, monter un cheval et me mêler dans un tournoi ou dans un combat, avant que vous ne m’ayez accordé Nicolette, Nicolette ma douce amie que j’aime tant. — Beau fils, reprenait le père, ce que tu me demandes ne peut s’accomplir ; cette fille n’est pas faite pour toi. Le vicomte de Beaucaire, mon vassal, qui l’acheta enfant des Sarrasins, et qui, quand il la fit baptiser, voulut bien être son parrain, la mariera un jour à quelque valet de charrue dont le travail la nourrira. Toi, si tu veux une femme, je puis te la donner du sang des rois ou des comtes. Regarde dans toute la France et choisis : il n’est si haut seigneur qui ne se fasse honneur de t’accorder sa fille, si nous la lui demandons. — Ah ! mon père, répondait Aucassin, quel est sur la terre le comte ou le royaume qui ne fut dignement occupé, s’il l’était par Nicolette, ma douce amie. »