Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/110

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Le père insista encore quelque temps. La comtesse elle-même joignit plusieurs fois ses sollicitations et ses menaces à celles du comte son époux. Pour toute réponse, Aucassin leur disait toujours : « Ma Nicolette est si douce ! Oui, sa beauté, sa courtoisie ont ravi mon cœur, et pour que je vive, il faut que j’aie son amour. »

Quand le comte Garins vit qu’il ne pouvait détacher son fils de Nicolette, il alla trouver le vicomte son vassal pour se plaindre à lui de cette fille, et pour exiger qu’il la chassât. Le vicomte, qui craignait le ressentiment de Garins, lui promit de l’envoyer dans une terre si éloignée, que jamais on n’entendrait parler d’elle. Mais il s’en serait voulu à lui-même de punir avec tant de rigueur une créature innocente qui ne le méritait pas. Naturellement il l’aimait, et au lieu de l’exiler, comme on le lui avait fait promettre, il se contenta de la cacher à tous les yeux.

Tout au haut de son palais était une chambre isolée, éclairée seulement par une petite fenêtre qui donnait sur le jardin. Ce fut là qu’il enferma Nicolette, ayant soin de lui fournir abondamment tout ce dont elle avait besoin pour vivre, mais aussi lui donnant pour surveillante une vieille chargée de la garder à vue et d’en répondre.

Nicolette avait de beaux cheveux blonds et naturellement frisés. Elle avait les yeux bleus et riants, les dents blanches et petites, le visage bien proportionné. Vos deux mains eussent suffi pour contenir sa taille légère. Son teint était plus frais que la rose du matin, ses lèvres plus vermeilles que cerises au temps d’été ; enfin jamais vos yeux n’ont vu plus belle personne.