Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/112

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Dès qu’on ne vit plus Nicolette dans Beaucaire, tout le monde en chercha la raison. Les uns dirent qu’elle s’était enfuie, les autres que le comte Garins l’avait fait tuer. Je ne sais s’il y eut quelqu’un qui s’en réjouit, mais certes Aucassin en fut bien affligé. Il alla trouver le vicomte et lui redemanda sa douce amie. « J’ai perdu la chose du monde qui m’était la plus chère, dit-il ; est-ce par vous que j’en suis privé ? Si je meurs, vous en répondrez, car c’est vous qui m’aurez donné la mort en m’ôtant tout ce que j’aimais. »

Le vicomte, dans le dessein de le faire rougir d’un tel amour, lui parla d’abord avec mépris de cette fille esclave et inconnue, qui bientôt l’eût forcé au repentir, si, pouvant prétendre aux filles des rois, il l’eût épousée. Mais lorsqu’il le vit se fâcher et s’emporter, il se crut obligé d’avouer l’ordre qu’il avait reçu du comte Garins. « Prenez votre parti, ajouta-t-il, et renoncez à Nicolette, vous ne la reverrez jamais. Que votre père surtout soit bien convaincu que vous ne songez plus à elle, car il serait capable de se porter contre vous aux dernières extrémités. Peut-être même seriez-vous cause de notre mort, et nous ferait-il condamner au feu elle et moi. — Vous me désespérez, » répondit Aucassin, et sans rien dire davantage, il se retira, laissant le vicomte aussi affligé que lui.

Rentré au palais, il monta dans sa chambre pour pouvoir se livrer librement à sa douleur : « Nicolette ! s’écria-t-il, ma toute belle ! si belle quand tu ris et quand tu parles ! Nicolette ! ma sœur ! ma douce amie ! c’est pour toi qu’on me désespère et que je vais mourir. » Il resta ainsi abîmé dans ses chagrins,