Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/35

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France. Cette dame était aussi intelligente que belle. Un matin que la femme attachée à son service n’arrivait pas pour lui donner son déjeuner, elle me dit : « Mais, François, vous pouvez bien entrer dans ma chambre et déposer le plateau sur la table, cela ne me gêne aucunement, je suis couverte dans mon lit. »

Cette même dame disait un jour à mon maître, au milieu d’une discussion littéraire : « Tous vos critiques, qui se donnent tant de mal pour analyser une œuvre nouvelle, me font rire ; car, enfin la littérature n’est pas une chose si complexe. Moi, je n’ai jamais appris la langue française, j’écris tous les mots en me fiant aux analogies, et cependant ils acceptent mes livres, vous voyez bien ! » Elle ajouta : « S’ils me parlaient de la grande difficulté que rencontrent presque toujours à s’entendre deux êtres qui s’aiment entièrement…, vous comprenez ce que je veux dire… oui, qui savent se donner le maximum des plaisirs sensuels… Si cela arrive une fois, aussitôt un abîme les sépare. » Mon maître ne riait pas, son front s’assombrit et je remarquai un mouvement nerveux dans ses pupilles. Je n’entendis pas sa réponse, car il me pria de donner le plat suivant…


Quelques années plus tard, il m’envoya prendre des nouvelles de la santé de cette dame, hôtel Meyerbeer, au rond-point des Champs-Élysées. Un groom me conduisit à sa chambre ; j’étais à peine sur le seuil de la porte que cette dame me disait : « Entrez, entrez, François ! Venez près de moi, vous savez que je ne suis pas une bécasse. »

Je m’assis près de son lit, elle me pria de lui donner des nouvelles de mon maître. « Parlez-moi de lui long-