Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/16

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dont le directoire central est à Charleston, dans l’Amérique du Nord, sous la haute autorité du général Albert Pike.

Comme je manifestais mon étonnement de tous ces noms baroques :

— Oh ! ce n’est encore rien, me dit Carbuccia, et vous n’avez encore rien entendu. Dans le cours du voyage, nous aurons le temps de recauser de tout cela, et je vous mettrai au courant, je l’espère, si toutefois cela peut vous intéresser, et si vous vous sentez assez fort pour ne pas vous laisser tenter de connaître de près ces niaiseries, au bout desquelles on finit par arriver à une monstruosité.

— Pour cela, mon cher monsieur Carbuccia, que votre conscience se rassure !… Moi, je suis cuirassé contre ces sottises-là, et cela m’étonnerait fort si jamais vos frères me pinçaient dans leurs filets. Permettez-moi de vous le dire, d’ailleurs ; ils n’attrapent jamais que les naïfs, ceci dit sans vous fâcher.

— Vous croyez cela, mon cher docteur ?… Eh bien, détrompez-vous…

— C’est vrai, aux naïfs, il faut ajouter les coquins, ajoutai-je, mais je vous estime encore assez, monsieur Carbuccia, pour vous classer dans la première catégorie des victimes des sectes en question.

Carbuccia ne répliqua pas, courbe la tête, et reprit son récit :

— Ces Ré-Théurgistes Optimates tiennent des réunions palladiques spirites ; ils se livrent à toutes les manœuvres défendues par l’Église et à une masse d’opérations occultes : tables tournantes et parlantes ; enfin, évocations.

Je souris légèrement à ce que je considérais comme une billevesée. Carbuccia s’en aperçut dans l’obscurité.

— Ne riez pas, docteur, dit-il ; cela est plus certain et malheureusement bien plus sérieux que vous ne le croyez et qu’on ne le croit. Il y a, à l’égard de tous ces maléfices, un scepticisme que je m’étonne de rencontrer, alors que cependant dans toute l’Europe, dans le monde entier, il ne se passe pas un jour, peut-être pas une heure, sans que quelque part quelqu’un ne maléficie, seul ou en compagnie de gens comme lui abandonnés de Dieu… Tenez, en ce moment, à l’heure où nous parlons… Mais écoutez la fin, et vous saurez tout…

Dans la première période de ma fréquentation des réunions palladiques spirites, j’assistai à de nombreuses évocations ; mais je m’aperçus vite, la supercherie était d’ailleurs grossière, que les apparitions de fantômes évoqués étaient produites par des projections assez habilement faites, mais pas assez pourtant pour que le truc échappât à l’œil de l’observateur.

Cependant, je ne dis rien, pensant que c’était là la répétition de toutes les comédies qui m’avaient été précédemment données en spectacle dans les loges maçonniques ; il est bon de savoir, en effet, que les Ré-Théurgistes Optimates appartiennent presque tous à la franc-maçonnerie, dont les rituels ont servi de modèle à un grand nombre des leurs ; cette secte est une autre maçonnerie, plus occulte, plus perverse, plus criminelle que l’autre, et ayant surtout un caractère plus nettement diabolique.

Mais, voilà qu’un beau jour, le grand-maître d’une réunion palladique, à laquelle je m’étais fait inscrire, me dit, alors que nous étions en séance :

« — Frère Carbuccia, vous vous croyez peut-être des nôtres ? Vous vous imaginez avoir été réellement initié aux mystères de la cabale et de la magie ?… Eh bien ! non… Tout ce que vous avez vu jusqu’à présent n’était que de la fantasmagorie, de la simulation, des chimères, des apparences vaines et trompeuses…

« — Pardon, répondis-je, je m’en étais fort bien aperçu ; mais j’étais trop poli pour vous le dire.

« — Or ça, reprit le grand-maître, nous vous avons étudié avec soin, depuis que vous nous fréquentez, et nous comprenons que vous êtes un homme sur qui l’on peut compter… Nous allons donc aujourd’hui vous donner la véritable initiation des Mages. Vous êtes digne de pénétrer nos arcanes et de voir face à