Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/18

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dévoiler, comme vous le dites, au monde entier, l’œuvre des maléfices. Je vous y aiderai de tout mon pouvoir, en vous mettant au courant de tout ce que j’ai vu, fait et observé. Et, à ce titre, vous devez, vous médecin, en l’absence de prêtre à bord, entendre et recevoir, non ma confession, mais mon aveu, ma déclaration sincère et solennelle… Cela peut vous paraître étrange, peut-être, que je me livre ainsi à vous ; mais je vous connais, je vous estime, j’ai confiance absolue en vous ; vous avez sauvé une fois déjà ma vie matérielle, sauvez ma vie spirituelle, écoutez-moi !… Le prêtre, j’en ai peur… Oh ! non, s’empressa-t-il de se reprendre, voyant que je faisais un mouvement… Oh ! non, pas comme vous pensez, mais par timidité, par horreur de moi… Pensez, depuis ma première communion, qui fut, il est vrai, excellente, depuis mon enfance, par conséquent, j’ai perdu l’habitude du prêtre, et jamais je n’oserai raconter à cet homme, malgré le caractère sacré dont il est revêtu, peut-être même à cause de ce caractère, ce que je vous dis à vous avec confiance, avec soulagement… Je vous le répète, je vous connais, vous êtes pour moi comme un frère, un père, et je n’ai ni honte, ni amour-propre avec vous… Enfin, si vous ne m’écoutez pas, jamais peut-être je ne dirai rien à personne ; ces secrets terribles mourront avec moi, et l’œuvre mauvaise, non dévoilée, continuera son ténébreux chemin…

Il parlait ainsi, me pressant, avec le ton d’un enfant qui supplie, d’un malheureux qui implore, et j’étais vraiment ému.

Au demeurant, ma décision fut vite prise ; son dernier argument m’ébranla.

— Eh bien, lui dis-je, si vous me promettez formellement d’achever votre retour à Dieu, de le légaliser en quelque sorte en allant vous confesser, si, en un mot, vous me promettez d’une façon expresse de faire votre paix définitive avec la religion chrétienne, alors je consens à vous écouter, et je verrai ensuite ce que j’aurai à faire.

— Je vous le jure, fit-il simplement.

— Parlez, lui répondis-je ; — et je fis un signe de croix.


— Lors de mon dernier voyage à Calcutta, j’allai, suivant mon habitude, voir mes frères les Ré-Théurgistes Optimates. Cette fois, je trouvai le grand-maître et ses acolytes en grand mouvement. On avait, parait-il, reçu quelques jours auparavant, un nouveau rituel de cérémonies magiques, composé par Albert Pike ; il n’était question que de cela, et je comprenais, à certaines phrases échappées au grand-maître et à certains préparatifs, qu’il allait y avoir une séance extraordinaire. Elle était seulement retardée par ce fait, que l’on n’avait pas à Calcutta, certaines choses, — que l’on ne m’indiquait pas, — absolument indispensables pour le cérémonial.

Les choses en question ne se firent d’ailleurs pas attendre ; le frère Georges Shekleton, qu’on avait envoyé exprès les chercher en Chine, seul endroit du globe où l’on pût les trouver et se les procurer, devait arriver le lendemain par un paquebot de la Peminsular and Oriental, venant de Shang-Haï et Hong-Kong. Le paquebot attendu arriva, en effet, le lendemain.

Le grand-maître se rendit à bord à la rencontre du frère Shekleton, et tous deux nous arrivèrent, portant en grande pompe une petite caisse de bois blanc, contenant ce que Albert Pike avait déclaré indispensable pour la réussite de l’opération magique tant désirée.

La caisse fut ouverte devant nous tous, dans la salle de nos réunions ; elle contenait… — et ici Carbuccia frissonna et sa voix s’altéra subitement, — elle contenait, continua-t-il, trois crânes de missionnaires, tout récemment morts victimes de la foi, dans la basse Chine.

« — Frères, nous dit le grand-maître, notre frère Shekleton a justement et parfaitement accompli la mission d’honneur dont nous l’avions chargé… Il a