Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/180

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cataclysme des temps antiques, cause peut-être d’un autre cataclysme qui couve, d’autre part tout s’agite sur ces bords, une vie curieuse y évolue, estropiée, ankylosée, toute à rebours.

Regardez cette plaine nue et stérile. Des myriades et des myriades de petits morceaux de bois y sont accumulés, des secs et des pourris, des longs et des courts, des épais, des ronds, des carrés ; et cependant, à plusieurs lieues à la ronde, il n’y a pas de forêts ni même d’arbustes. Comment donc se sont ainsi accumulés là tous ces déchets de végétation ? toutes ces cassures et ces branches d’arbres, d’où viennent-elles ?… Mais regardez mieux. À côté même de tous ces bois qui déjà semblent vermoulus, sont répandues sur le sol des nuées de feuilles du plus beau vert, nacrées et fraîches, humides encore de la rosée du matin ; la vie à côté de la mort, la sève à côté du bois pourri ! Encore une fois, d’où tout cela provient-il ?…

Voulez-vous en avoir l’explication ? Rien n’est plus aisé.

Avancez-vous, faites du bruit, lancez une pierre dans cet amas de feuilles et de branches, et un spectacle vous stupéfiera. Les branches et les bois pourris se mettront à courir de tous côtés, et, quant aux feuilles vertes, vous les verrez s’envoler, former un nuage et tout à coup disparaître sous l’horizon.

Les branches, en vérité, n’étaient pas des branches, pas plus que les feuilles n’étaient des feuilles. Les unes sont des fourmis, des mantes, des criquets, des sauterelles ; les autres, des papillons de toute espèce. Au lieu de ressembler comme dans nos pays à des bêtes, ces animaux, ces insectes ressemblent à des plantes, à des végétaux.

Dans les régions que je décris, vous vous approchez d’un buisson, pour cueillir une belle fleur que vous apercevez sur un arbuste et qui vous tente. À votre approche, l’arbuste se sauve, c’est un animal ; la fleur s’envole, c’est un insecte.

D’autre part, vous voyez par terre un animal ; par exemple un crapaud, une grenouille ou un rat. Vous vous avancez et l’écrasez du pied. Sous votre pied, c’est le vide, la terre ; c’est une fleur que vous venez de froisser.

Et ceci, — pas plus que tout ce que je relate, — n’est du roman ; c’est la très exacte et très scrupuleuse vérité.

La science appelle cela des phénomènes de « mimétisme » ; elle connaît la propriété qu’ont certains animaux de ressembler aux plantes sur lesquelles habituellement ils vivent et dont ils se nourrissent, ainsi que la propriété qu’ont certaines plantes de simuler des animaux ; mais jamais la ressemblance n’a été plus frappante, le mimétisme plus parfait. Entre la mante des Indes, qui ressemble à un morceau de bois sec, et la