Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/249

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de médecine à la faculté de cette ville. Nous causâmes plus des choses de France que de maçonnerie ; du reste, le frère Bézian, simple maître (3e degré), n’avait pas grand’chose à m’apprendre et était à mille lieues de soupçonner, naïf bonhomme comme tant de ses pareils, quelle divinité les chefs de la secte adorent sous le nom de grand architecte de l’univers. J’étais donc un véritable haut personnage pour les frères du rite français habitant Saïgon. Ils me reçurent avec les plus grands honneurs (c’était un mercredi, si j’ai bonne mémoire), m’offrirent le maillet de la présidence, que je refusai, et je me bornai à leur débiter un speech quelconque sur n’importe quoi ; ce qui me valut trois chaleureuses batteries d’applaudissements, avec acclamation de joyeux vivats.

À Shang-Haï, par contre, je devais constater de nouveaux phénomènes, dus à l’action des démons, sans aucun doute pour moi.

Shang-Haï est resté, jusqu’en 1890, le point d’arrêt du courrier de Chine. Là, nous allons rencontrer un satanisme, non sauvage et grossier, comme aux Indes, non plus dans le genre exclusivement moderne du palladisme européen et américain, comme à Singapore, mais raffiné avec des instincts de cruauté, exhalant une sorte de barbarie fin-de-siècle, si l’on peut s’exprimer ainsi, commençant, il est vrai, par une légende encore, mais finissant par l’horrible et cynique réalité des faits.

L’arrondissement de Shang-Haï, dans la province de Kiang-Sou, forme, ou le sait, une bande de terre le long de la rive gauche du Yang-tsé-Kiang, et la ville elle-même, chef-lieu de l’arrondissement, est située non loin de l’embouchure du grand fleuve, un peu après Wo-Sung, dont elle est séparée par une barre de rochers infranchissable aux bâtiments d’un certain tirant d’eau.

Shang-Haï est d’établissement tout récent. C’est une agglomération chinoise qui est venue se former autour de terrains concédés à des Européens. La ville, qui a un port fluvial sur le Hoang-Pou, est, en réalité, une « concession ». Là, se trouvent, côte à côte et séparées seulement par de petits arroyos ou ruisseaux, les trois grandes bandes de territoire concédées à la France, à l’Angleterre, à l’Amérique, sur lesquelles s’élèvent les maisons des consuls et des résidents étrangers au pays. Les Européens n’y atteignent pas le chiffre de 3,000 habitants et sont ainsi une poignée au milieu de près de 400,000 Chinois.

Un tao-taï (préfet) représente le gouvernement impérial auprès des municipalités et des autorités européennes locales ; car les concessions françaises et anglaises sont défendues par un corps de police française, l’infanterie de marine, une petite troupe franco-chinoise et les cipayes anglais. En outre, un navire de guerre est en station dans les eaux du Hoang-Pou. Le tao-taï, pour les Chinois, fait les fonctions d’administrateur.