Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/268

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celles-là, que toutes celles que j’avais vues auparavant. On sait, d’ailleurs, que c’est la règle, chez les Chinois de caste, de se laisser pousser les ongles, non pas seulement longs et taillés comme les femmes européennes et les petits-maîtres, mais absolument en forme de griffes diaboliques. Chez quelques-uns même, cela devient de l’exagération poussée jusqu’à l’invraisemblance : pour montrer qu’ils sont de haute caste, c’est-à-dire qu’ils ne font jamais en quoi que ce soit œuvre de leurs dix doigts, ils se laissent ainsi pousser les ongles, qui ont ainsi deux et trois mètres de longueur, — on en cite même à sept mètres, — et qui s’enroulent en rond, de façon à former comme des cornes ou de véritables rouleaux aux extrémités des doigts.

Je plaçai mon parasol, le long de mon corps, à gauche, dans la position que Cresponi m’avait indiquée, et je me mis à fumer.

J’éprouvai toute la gamme des sensations ordinaires, j’eus les hallucinations habituelles, dans mon sommeil d’ivresse. Et, lorsque je me réveillai, je n’étais plus sur la natte de l’opium-shop où je m’étais endormi, mais sur une sorte de chaise longue à brancards qui avait servi à me transporter.

Je me trouvais au centre d’une vaste salle rectangulaire, très vivement éclairée par le haut, le plafond étant en de nombreux endroits coupé par de larges baies transversales dans le sens de la largeur ; ces bandes, qui permettaient au jour extérieur de pénétrer avec abondance, étaient hermétiquement fermées au moyen de solides plaques de verre, ou, pour mieux dire, de cristal, d’une limpidité étonnante.

Tout autour de moi, une foule de Chinois, mêlés de quelques Anglais, étaient là, me regardant avec curiosité et sans antipathie.

— Frère, me dit l’un d’eux en bon anglais[1], n’aie aucune crainte ; nous t’avons reconnu ; nous avons constaté, par les preuves authentiques placées sur toi, que tu es vraiment affilié à un rite ami du notre ; tu ce donc au milieu de tes frères, qui sont heureux de te recevoir dans leur temple sacré.

Je frottai mes yeux, je passai mes mains sur mon corps en me tâtant, afin de constater que j’étais bien éveillé ; puis, je me levai.

  1. Tous les dignitaires de la San-ho-hoeï connaissent l’anglais et le parlent très bien. C’est la langue dont ils se servent, chaque fois qu’ils reçoivent en frère visiteur un affilié à l’un des rites en correspondance avec le leur.
    On croit bien à tort que ces peuples de l’extrême-Orient sont arriérés au point de vue des lettres et des sciences ; ils sont, au contraire, très avancés.
    Ainsi, au Japon, en dehors de la langue nationale, les étudiants en droit connaissent le français ; les étudiants en médecine, l’allemand ; les jeunes gens qui se destinent à la carrière navale, l’anglais, etc.
    En Chine, bon nombre de mandarins, en dehors même de ceux qui appartiennent à la San-ho-hoeï, parlent et écrivent couramment l’anglais, et quelquefois l’allemand ou le français aussi.