Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tandis que le squelette, rageur, le serrait fortement, le genou posé sur sa poitrine, appuyant sa face osseuse sur le faciès de l’autre, et le bourrant de coups de poing.

— Au secours ! au secours ! clamait l’infortuné. À moi, Baal-Zéboub ! à moi, Lucifer !… Je meurs, j’étouffe, je… je… je…

Il râlait, et personne n’osait s’approcher.

Cette lutte fantastique ne pouvait s’éterniser. Finalement, le squelette abandonna sa victime, non sans lui avoir fait au menton une morsure douloureuse et profonde, sous laquelle jaillit le sang. Alors, le squelette retomba brusquement inerte, étendu de tout son long par terre, sans le moindre mouvement désormais, comme si l’accès de fureur du peresprit des os et des vertèbres avait dit son dernier mot, et, en réalité, parce que l’esprit malin, répondant en chinois au nom de Whamg-tchin-fou, s’était retiré soudain.

Peu à peu, les uns après les autres, on se risque a venir a l’aide de l’infortuné 33e, qui gisait, lui aussi, mais geignant, gémissant ; il n’était pas mort. Enfin, le courage revint à tous ; le tao-taï de Shang-Haï souleva la victime, et moi, en ma qualité de médecin, je lui donnai les premiers soins que nécessitait son état. Du reste, le frère visiteur avait en plus de peur que de mal ; les contusions n’étaient pas graves, et la morsure du squelette ne lui avait enlevé qu’un petit morceau de chair.

Tout le monde se remit donc de cette chaude alarme, le 33e comme les autres ; il se devait, au surplus, de ne pas paraître trop impressionné par l’incident et de continuer d’assister à la suite de la séance, quoiqu’il pût encore arriver.

Quant au squelette, à présent inoffensif, on le ramassa, on le renferma dans son cercueil, qui fut aussitôt remporté au magasin des accessoires du temple.


Le calme étant revenu, le grand-sage expliqua que l’on allait procéder aux exorcismes de l’eau.

J’ai noté plus haut qu’au milieu de la salle se trouvait une sorte de baptistère, ou, pour mieux dire, une vasque de pierre, très grande, recouverte d’un couvercle en bois. Ce couvercle fut enlevé, et nous constatâmes, les deux visiteurs anglais et moi, que la vasque était remplie d’eau. Un frère de la San-ho-hoeï m’apprit que c’était de l’eau de mer, renouvelée à chaque réunion, afin qu’elle ne se corrompît pas.

Le but de ce réservoir était des plus bizarres.

Le grand-sage nous fit placer tout autour de la vasque et dit :

— Frères, maintenant que nous savons que des prêtres de Yé-su sont en route pour notre pays et qu’ils voguent sur cette mer dont nous