Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/289

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et de la lumière, vous allez vous unir à nous et joindre vos suffrages aux nôtres ; car nous allons juger, condamner et châtier l’iniquité. Je déclare constitué le tribunal de la divine justice et de la sainte vengeance.

Sur son ordre, le placard mystérieux fut ouvert. Il se divisait intérieurement en deux compartiments, d’où les frères servants tirèrent d’abord une énorme croix en bois, qui fut aussitôt plantée un peu en avant de l’orient et à droite du Dragon ; puis, ils sortirent différents instruments de torture, une cangue, des poucettes, un brasier avec son soufflet, etc. Au fur et à mesure qu’ils tiraient ces objets de la grande armoire, ils les disposaient entre les colonnes, en face du tribunal. Tout cela avait été extrait du premier compartiment, sur la porte duquel était le mot supplices. À son tour, le second compartiment, celui sur la porte duquel le mot cochon se lisait en chinois, fut ouvert, et grand fut mon saisissement quand j’aperçus à l’intérieur un homme immobile, assis sur une planche où il était attaché, les mains liées derrière le dos, les pieds enchaînés, le cou passé dans une petite cangue[1], la tête penchée sur le plateau de la cangue, pâle comme un mort ; et cet homme portait la soutane de prêtre catholique, de missionnaire.

Je me sentis suffoqué, à ce spectacle. Je me demandais comment ce malheureux avait pu tenir dans ce compartiment de placard, sans air, et je me disais qu’il avait dû terriblement souffrir pour mourir de la sorte, lentement asphyxié et affamé. Cette fois, c’en était trop ; je fus sur le point de bondir sur ces misérables, afin d’en prendre un à la gorge, le premier venu, et de l’étrangler sur place. Je ne sais quelle force invincible me retint cloué sur mon siège.

Heureusement, je ne me compromis pas ; car c’était la une illusion, ce spectacle affreux, et l’illusion fut de courte durée. L’homme était un mannequin, à tête de cire, admirablement fabriquée. Je n’étais donc pas en présence d’un épouvantable crime, mais bien d’une parodie funèbre, triste à serrer le cœur, mais grotesque au demeurant ; et ce à quoi j’allais assister, c’était à un envoûtement de missionnaire par le mannequin.

Dans un chapitre spécial, je traiterai tout au long la question des envoûtements, qui sont pratiqués de nos jours, comme en plein moyen-âge. Les sceptiques, je le sais, rient de ces choses ; ne croyant pas en Dieu, ils ne croient pas davantage au diable ; mais leurs rires n’empêchent pas

  1. La cangue est un supplice spécial à la Chine. Il consiste en un plateau de bois très épais, fort lourd, allant des fois jusqu’à 30 kilos, s’ouvrant en deux et présentant une échancrure pour laisser passer la tête ; une fois la cangue refermée, le patient a ainsi la tête prise dans ce douloureux collier de bois ; ni le sommeil ni le repos ne lui sont dès lors possibles, le corps ne pouvant s’étendre nulle part, à raison de ce que le cou porte sur l’arête vive du bois. Il y a des cangues à trois échancrures, où les mains sont prises en même temps que la tête.