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AVANT-PROPOS

Confidences d’un Occultiste




Médecin de la Compagnie des Messageries Maritimes, sur les paquebots de laquelle j’ai fait la plus grande partie de ma carrière et passé tout au moins ma vie entière d’âge mûr, je me trouvais en 1880 sur la ligne de Marseille au Japon.

Le lecteur connaît ces admirables œuvres de l’industrie maritime française, ces bateaux qui ne mesurent pas moins de 152 mètres de long sur 14 et même 15 mètres de large, et dans lesquels rien ne manque au point de vue du confort et de la sécurité des passagers. Ce sont de véritables hôtels flottants, de colossale dimension, possédant toutes les commodités des hôtels ordinaires de terre, et à bord desquels on se doute souvent à peine que l’on navigue en plein Océan, tant leur stabilité est grande et tant leurs mouvements sont doux.

Cette courte description permet de comprendre l’affluence vraiment extraordinaire de passagers de tous pays et de toute sorte qui s’y rencontrent, s’y coudoient, s’y connaissent aujourd’hui, aux hasards d’une traversée, ou s’y oublient demain dès le débarquement, au terme du voyage.

Soldats allant au Tonkin pour la conquête de la terre et des corps, missionnaires les précédant ou les suivant pour la conquête d’âmes à Dieu, fonctionnaires de toute sorte, gens de toute nationalité, tels sont les passagers irréguliers et intermittents de cette ligne, qui passent une fois et ne reviennent guère. Mais, par contre, il en est d’autres que l’on revoit périodiquement, que l’on retrouve toujours les mêmes, et avec lesquels à la longue une sorte d’intimité s’établit.

Ceux-ci, le maître-d’hôtel qui les reçoit à leur arrivée à bord les reconnaît et les salue d’un signe de tête respectueusement familier ; à peine installés, ils vont tout de suite rendre un bout de visite aux officiers qu’ils connaissent, au docteur plus particulièrement, que sa spécialité et la liberté dont il jouit mettent encore plus en rapport avec eux. De ce nombre, sont les gros acheteurs de bibelots d’Extrême-Orient, et surtout les graineurs, voyageurs et représentants des grandes maisons de soie, des grandes filatures d’Italie, qui, toutes les années, aux mêmes époques, montent au Japon acheter pour le compte de leurs maisons les graines ou œufs de vers à soie, ainsi nommées à cause de leur aspect, et qu’ils rapportent, soigneusement collées sur des cartons étagés les uns sur les autres, au moyen de supports qui les séparent dans de grandes caisses arrimées aussi avec le plus grand soin. Ces graineurs et leur chargement constituent une riche clientèle pour la Compagnie, dont ils sont en quelque sorte les habitués réguliers.

Une rapide énumération des escales par lesquelles le Courrier de Chine passe et auxquelles il s’arrête, et le lecteur aura toutes les données nécessaires pour comprendre l’important récit qui suivra.

Partant de Marseille, le paquebot s’arrête, ou du moins s’arrêtait à l’époque, à Naples, Port-Saïd, Suez, Aden, Pointe-de-Galle ; la, il trouve une annexe qui prend ses marchandises et ses passagers à destination de Pondichéry, Madras et Calcutta ; puis, il continue sa traversée pour Singapore, passant près de l’archipel de Java, les Célèbes, les Moluques, pour s’arrêter à Saïgon et suivre pour Hong-Kong, Shang-Haï, et par annexe encore de Hong-Kong à Yokohama.