Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/329

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Je reviens au dîner du 10 mars 1881, chez le docteur Gallatin Mackey, à Charleston. Le festin fut vif et animé ; ce qui fut absorbé, tant en solides qu’en liquides, par mes Américains, est inimaginable. Au dessert, Sophie Walder, — ce n’est pas un secret de malade que je vais révéler, — nous déclama, de sa voix bien timbrée, l’Hymne à Vénus, dont l’auteur est le vénéré Albert Pike ; et j’ajoute que la jeune fille, qui est une diseuse hors ligne, m’étonna au plus haut point par son talent pouvant rivaliser avec celui de nos meilleures comédiennes. Êtes-vous contente, Sophia ?…


C’est Boston qui a eu le triste honneur de voir naître Albert Pike ; celui qui devait devenir le chef suprême des francs-maçons y naquit le 29 décembre 1809, d’une famille de condition modeste.

    elle vante la vertu (!), et, au passage, je suis visé par les deux alinéas suivants, que je tiens à relever ici, quoique déjà M. l’abbé Mustel ait bien voulu me permettre d’y répondre dans son excellente revue, — permission dont j’ai été heureux d’user :
    « … Le docteur Bataille, dit Sophia, abuse d’une situation toute particulière. À l’époque où je le croyais mon ami, il me sauva d’une péritonite qui m’emportait. Je lui en eus une vive reconnaissance ; je m’aperçois aujourd’hui que de cette reconnaissance il profita outre mesure. Mais de nous deux quel est l’indigne ? J’en fais juge le public. Je pensais avoir eu un frère qui m’avait arrachée à la mort ; je me trompais ; le médecin était un faux-frère dont l’unique souci était de conserver un sujet qui lui paraissait curieux à étudier. L’espion se faisait sauveur de l’espionnée pour continuer jusqu’au bout son espionnage…
    « … Si dans un excès de gratitude, j’ai eu trop d’amitié pour cet homme, trop de confiance en lui, le blâmable est, non pas moi certes, mais lui, qui a abusé de cette amitié et de cette confiance. Que dans leur conscience se prononcent les impartiaux !… Ils jugeront très sévèrement, j’en suis sûre, cette trahison, d’autant plus ignoble qu’elle est commise par un médecin vis-à-vis d’une malade qu’il a soignée et à qui il a pu arracher insidieusement quelques confidences ; c’est la une violation flagrante du secret professionnel. »
    Sophia s’illusionne étrangement si elle s’imagine qu’elle donnera le change au public. Quand mon ouvrage aura été lu jusqu’au bout, en aura constaté qu’il ne s’agit aucunement de faits secrets du ressort du médecin, de faits appris par le médecin à raison de la maladie de sa cliente ; ce que je dévoile n’a aucun rapport avec cela, et je ne viole nullement le secret professionnel.
    Dans ma réponse publiée par la Revue Catholique de Coutances, j’ai dit que j’étais allé au feu, poitrine découverte ; ce récit, qu’aucune menace ni aucune manœuvre ne me feront interrompre, sera la démonstration de la vérité absolue de mon affirmation très nette. Les Walder, les Lemmi, les Hobbs et tutti quanti savent ou devraient savoir qu’ils ne m’effrayeront pas. Si j’ai risqué ma peau en leur vilaine compagnie et en surmontant bien souvent mon dégoût et mon indignation, ce n’est pas pour me taire aujourd’hui que j’ai vu tout ce que j’ai voulu voir. Quant à la phrase que Sophia a soulignée dans sa lettre à M. l’abbé Mustel, elle constitue un mensonge impudent. Lorsque j’ai donné mes soins a cette malheureuse (1er  juin 1884 et jours suivants), je ne songeais nullement à conserver un sujet ; je faisais simplement mon devoir. Si Sophie Walder n’était une égarée au dernier degré, une possédée à l’état latent, elle comprendrait, au contraire, combien l’intervention divine est manifeste, dans le cas qu’elle cite, son propre cas ; elle réfléchirait que la maladie dont elle fut frappée subitement l’empêcha de commettre le plus odieux des crimes ; aujourd’hui, elle sait que le médecin, qui a été mis alors sur sa route et à qui elle croit devoir sa guérison, était un catholique, un défenseur de ce Dieu infiniment bon qu’elle outrage tous les jours, et elle ne comprend pas ?… Quel aveuglement ! quelle cécité !… Oui, je dirai tout, je raconterai tout. Mais laissez-moi ajouter, pour conclure, Sophia, que vous avez été bien maladroite dans votre sortie absurde et folle contre M. l’abbé Mustel. Bien plus malin que vous est votre collègue Adriano Lemmi, qui fera le mort, lui, ou qui donnera à ses agents secrets le mot d’ordre de faire brutalement tout nier.