Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/335

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La guerre de la Sécession est trop connue pour que j’en retrace les épisodes. Je dirai seulement le rôle qu’y jouèrent Albert Pike et la franc-maçonnerie ; il ne fut guère à leur honneur.

Abraham Lincoln, candidat du parti qui réclamait l’abolition de l’esclavage, avait été élu président de la grande république américaine (1860) ; il en résulta une vive agitation dans les états du sud, où le parti esclavagiste avait l’immense majorité. La révolte, je l’ai rappelé plus haut, commença à Charleston, ville où siégeait et où siège encore le Suprême Conseil du Rite Écossais pour la juridiction sud des États-Unis. La Caroline du Sud, le Mississipi, la Floride, l’Alabama, la Géorgie, la Louisiane, le Texas, l’Arkansas, la Caroline du Nord, le Tennessee, la Virginie, le Kentucky et une partie du Missouri se séparèrent de l’Union, pour former une confédération nouvelle où l’esclavage serait maintenu (12 avril 1861).

La franc-maçonnerie, dans cette horrible guerre civile, la franc-maçonnerie qui proclame si haut qu’elle veut émanciper l’humanité, se prononça carrément pour les esclavagistes, en cette circonstance solennelle.

Depuis deux ans, Albert Pike, qui avait fait son chemin dans la secte, occupait les fonctions de souverain commandeur grand-maître du Suprême Conseil de Charleston, bien qu’il ne demeurât pas dans cette ville ; il avait alors conservé son domicile à Little-Rock, mais s’était créé un pied-à-terre à Washington. Et, à ce propos, disons que la date exacte de son élection n’est pas très nettement fixée. Il n’était pas présent à Charleston, quand elle eut lieu : ce fut Gallatin Mackey qui proposa son nom aux suffrages des membres du Suprême Conseil, et aucun candidat ne lui fut opposé ; le jour du scrutin, le conclave maçonnique n’était pas au complet ; on vota néanmoins, mais le vote ne rassembla que le tiers des voix nécessaires. Le scrutin resta donc ouvert, comme en permanence, et de temps en temps un des grands électeurs venait ajouter son suffrage à ceux de ses collègues. Pike fut élu à l’unanimité ; seulement, il fallut huit jours au moins pour l’opération, et, pour comble de ridicule, le docteur Mackey ne songea à dépouiller le vote que cinq jours après encore. Il s’ensuit que le Suprême Conseil de Charleston n’a jamais pu préciser la date de l’élection d’Albert Pike. Il y a choisir entre ces trois interprétations : 6 janvier 1859, jour du vote ; 14 ou 15 janvier, jour non précis où le dernier membre du Suprême Conseil vint déposer son suffrage dans l’urne ; 19 janvier, jour où Gallatin Mackey se décida à songer qu’il était temps de vérifier le résultat du scrutin, pour le proclamer ensuite à la première occasion. L’élection était si sûre, le candidat unique si indiscuté, que les choses s’étaient passées un peu trop à la bonne franquette.