Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/390

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fort arriéré. Enfin, aujourd’hui la Loge-Mère est fondée, et Belphégor, dux des génies de France, est heureux… Que j’aille en Europe, et il sera complètement satisfait…

Sous prétexte de m’intéresser à sa santé, je lui demandai si elle n’avait jamais eu de maladie grave.

— Je me porte généralement très bien, me répondit-elle ; mais, l’année dernière, vers la fin de novembre, j’ai failli mourir.

Je sus ainsi qu’à l’époque même où je me trouvais à Shang-Haï, dans les circonstances que j’ai racontées, Mlle  Walder, à Charleston, avait eu un érysipèle du cuir chevelu, grave, qui menaçait de prendre les méninges, et alors c’était la mort ; mais Gallatin Mackey, lui ayant donné ses soins, l’avait promptement guérie.

Elle revint encore une fois à ses rêves de voyage ; c’était chez elle une obsession. Malgré tout ce qu’elle faisait et tout ce qu’on lui faisait faire à Charleston, elle se considérait comme inactive. Et puis, elle connaissait les principaux chefs de l’Amérique et de l’Asie ; mais elle n’avait vu que rarement et très peu quelques-uns de ceux d’Europe. Les Européens, en général, ont l’horreur des grands déplacements, tout au contraire des Américains, qui traversent à tout propos l’Atlantique ou le Pacifique. Ainsi, Lemmi n’était jamais venu à Charleston.

— Vous allez retourner là-bas, me disait-elle ; vous irez en Italie, à Rome… Vous verrez Adriano Lemmi… Vous m’écrirez vos impressions, n’est-ce pas ? Vous me direz comment il est, comment il parle, ses tics, ses manies… J’ai hâte de le connaître de près… Surtout, il faut que vous me promettiez d’aller à Bologne ; vous ne me refuserez pas cela… Je vous demande, là, comme une amie, de vous rendre auprès de Carducci ; j’y tiens beaucoup… Vous lui répéterez ce que je vais vous dire, que j’ai pour lui la plus grande admiration ; mais de cela, je vous en prie, ne laissez jamais échapper un mot devant le Maître, devant Albert Pike… Il m’en voudrait…

Je l’écoutai, fort intrigué.

— Vous savez, cela, c’est entre nous, continua-t-elle. Je comprends à quel sentiment le Maître obéit, lorsqu’il défend de donner au Dieu-Bon un autre nom que celui de Lucifer ; mais je trouve qu’il est des cas où il faut savoir tolérer l’autre appellation, par exemple, lorsqu’un poète juge que le nom de Satan frappera mieux les esprits… Dans nos réunions rituelles, ne disons jamais Satan, soit ; quant à laisser ce nom dans les poésies bien inspirées, bien enflammées du grand souffle divin, comme celles de Carducci, cela n’a pas d’importance… Imaginez-vous que Lemmi et le Maître ont été sur le point de se fâcher à propos de l’Hymne à Satan. En Italie, on le récite, même dans nos banquets ; mais, partout