Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/632

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feu factice, qui ne brûlait pas, et dont les flammes s’élevaient à présent livides à trois ou quatre mètres de hauteur, le président jetait encore sa poudre blanche ; et alors une épaisse fumée emplit la salle, mais dont nous n’étions nullement incommodés, sauf un léger relent d’œufs pourris.

Cependant, il continuait ses incantations. Il avait en main un grimoire : un gros volume, couvert de signes et d’inscriptions cabalistiques, l’Evangelia Luciferi, bien connu des spirites lucifériens, et qui est relié en peau humaine de supplicié ; et il le lisait, faisant tout le temps des signes de croix à rebours.

« — Sint nomina Jesu Christi et Mariæ virginæ maledicta, per sanctum et æternum et divinum ignis regnum », disait-il, faisant suivre ce blasphème d’une invocation directe aux esprits du feu. Sa voix s’élevait, grave, dans le silence qui s’était fait, scandant ses mots intelligiblement et haut ; et il continuait : « Ariel, exaudi nos, amen ! Hermès, sis nobis benedictus ! Astaroth, tu es pater noster ! Astarté, tu es alma mater nostra ! Baal-Zeboub, te adoremus ! et Moloch, aia, eia, heu ! eheu ! Amen, vivas et regnas, Lucifer in æternum, alleluia ! »

Il s’arrêta après cette invocation, et ferma son grimoire.

— Prions, mes frères, nous dit-il, et que tous les Mages Élus, ici présents, s’unissent à moi, joignant les mains.

On le voyait, ses lèvres marmottant, prier avec ferveur. Il releva la tête ayant fini, le mot amen sur les lèvres.

Mais, à ce moment, on entendit un bruit infernal inexprimable, un vacarme, une cohue, indescriptible, des clameurs à briser le tympan.

— Les bons esprits luttent contre les maleachs, fit Hoffmann. Prions !…

Tout à coup, alors, nous vîmes apparaître un grand escogriffe, lumineux, qui ressemblait à s’y méprendre à un gigantesque mulet.

— Adramalech ! cria le grand-maître.

Nous le voyions très distinctement, agitant les oreilles et les pointant, puis clignant des yeux, paraissant s’ébrouer comme un cheval, puis disparu, subitement remplacé par un paon dont les plumes multicolores s’irisaient, tandis que nous percevions nettement le froufrou des plumes de sa queue qui se déployait en éventail.

À Adramelech succéda un autre diable, sous l’aspect d’un crocodile ; puis ce fut une tête de lion sur un corps de requin volant ; d’autres encore, impossibles à décrire, qui apparaissaient un instant, puis disparaissaient brusquement à leur tour, mais qui se montrait uniquement, sans manifester aucune hostilité à l’assistance.

Tout ce défilé, cette succession de personnages fantastiques, ressemblait à s’y méprendre à un kaléidoscope gigantesque, à une de ces séances