Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/727

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noire, de la taille d’un homme de plus de six pieds, où il paraissait comme des épaules énormes, sur lesquelles je distinguais une manière de tête affreuse, mais sans membres distincts ; le tout, complètement noir.

« Mes cheveux se dressèrent.

« — Ah ! ça, que je dis, je ne sais qui vous êtes, vous ; mais ce n’est pas à ce moment l’heure où l’on doit s’amuser des gens… Donc, commence par filer d’ici, toi, ou bien quelque chose va se passer ! »

« Disant ça, d’une main je tiens ma fourche en arrêt, de l’autre je ramasse des pierres, et j’avance dessus… »

(Comme on voit, le père J*** n’a pas l’air d’un peureux.)

« À mesure que je poursuivais, dit-il, ça fuyait devant moi ; quand je lançais des pierres, ça se baissait, disparaissait, puis reparaissait.

« Je le poursuivis ainsi pendant plusieurs centaines de pas.

« Je crus l’avoir chassé, et je retournai à mon travail, quand je le vis qui revenait derrière moi… J’en étais fatigué à la fin… Voyant qu’il me suivait avec tant d’obstination, je me mis à le poursuivre encore, à lui tenir tête ; mais ça revenait sans cesse… Ma chemise en était mouillée, de l’émotion ; pourtant, il ne fallait pas céder.

« — Que le bon Dieu, murmurai-je en moi-même, me donne la force de chasser cette vilaine bête-là ! »

«  À la fin, voyant que je ne m’en débarrassais pas, je pris le parti de faire mon ouvrage, sans plus m’occuper de lui. Il finit par s’en aller, une demi-heure à peu près avant que j’eusse terminé. Il est certain pour moi que j’ai bien eu affaire là au malin esprit. »

Mon correspondant de Dampierre fait suivre son premier récit de ces réflexions fort judicieuses :

« Naturellement, notre homme ne fut pas, le lendemain, sans conter son aventure. Au siècle où nous sommes, on rencontre bien des incrédules partout, des gens qui, dès qu’il s’agit d’un fait extraordinaire, commencent tout d’abord, et avant même le moindre examen, par nier, de parti-pris, le témoin du fait fût-il une personne incapable de mensonge et jouissant de tout son bon sens. Mais le père J*** est un de ces caractères avec qui l’on n’ose pas toujours pousser la raillerie trop avant.

« Tout récemment, quelqu’un, lui rappelant ce fait, lui observait que d’aucuns prétendaient que c’était son ombre qu’il avait vue.

« — Croit-on donc, répondit-il, que je suis fou ?… Je n’avais jamais eu peur de ma vie ; mais j’ai eu peur cette fois-là ; et, même aujourd’hui, la simple pensée de cette affreuse apparition me cause encore de l’effroi. »

« Au reste, comment peut-on supposer que cet homme ait vu son ombre, une nuit d’orage, par conséquent en temps noir ?