Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/738

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l’abîme, pour s’y briser le corps contre les rochers aigus qui étaient au fond.

Les deux légendes que je veux encore rapporter ont pour théâtre les environs de Paris, et la croyance populaire les place sous le règne de Napoléon III. Je les donne aussi pour ce qu’elles valent.

Dans l’une des compagnies d’un régiment qui était en garnison à Fontainebleau, se trouvait un soldat, raconte-t-on, lequel passait depuis longtemps pour avoir des habitudes étranges. Il se levait, la nuit, pendant que tous ses camarades étaient plongés dans le sommeil, et s’en allait, passant par dessus les murs, vagabonder à travers la forêt ; — c’était du moins ce que l’on croyait, — et, le lendemain, on le retrouvait pâle et défait dans son lit.

Le médecin régimentaire, consulté, déclare qu’il était atteint de somnambulisme et qu’il fallait le réformer. Il passa, en effet, devant la commission et fut déclaré bon à renvoyer dans ses foyers, en congé de réforme modèle n° 2, c’est-à-dire pour infirmités temporaires contractées en dehors du service des armées de terre et de mer.

Quelques jours avant son départ, son capitaine le fit appeler pour une cause ou pour une autre, et, en causant, l’interrogea sur ce qui lui arrivait. Le soldat déclara alors tout à coup à son chef qu’il n’était pas somnambule du tout, comme on le croyait et comme les médecins l’avaient affirmé, mais qu’il était sorcier, bien et dûment sorcier, et que ses sorties nocturnes avaient pour but sa rencontre quotidienne avec un diable. On juge de la stupéfaction de l’officier.

— Le diable ! le diable ! fit-il ; je n’y crois guère… mais c’est égal, je serais bien curieux de le voir…

Le capitaine poussa son interrogatoire plus à fond. Le soldat n’hésitait pas une seconde dans ses réponses, et elles étaient si nettes, si explicites, et en même temps si étranges, que la curiosité saisit de plus en plus l’officier ; si bien qu’il s’entendit avec le soldat, pour rejoindre celui-ci la nuit suivante à son entrevue diabolique. Rendez-vous fut pris à telle clairière, à quelque distance de la Roche-qui-Pleure.

— Ah ! pendant que j’y pense, une seule recommandation, dit le soldat au moment de se retirer : vous savez, mon capitaine, pas d’objet de dévotion catholique sur vous ! rien qui de près ou de loin ait touché à la sacristie !

Certes, cette recommandation était superflue. S’il n’était pas athée, le capitaine était tout au moins indifférent en matière de religion, se moquant volontiers des prêtres, qu’il englobait tous sous la dénomination générale de curés, que ce fussent des religieux ou des membres du clergé séculier ; et, pour tous souvenirs d’église, il ne retrouvait que