Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/76

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désirais tant étudier et dont je voulais explorer les mystères, depuis les révélations de Carbuccia. Ce fut, en réalité, mon collègue qui me rendit service.

L’agent de la compagnie se mit vite d’accord avec les commandants des deux navires, pour autoriser cette permutation, et, deux heures après, j’étais embarqué à bord du Meïnam, qui faisait la navette entre Pointe-de-Galle, Pondichéry, Madras et Calcutta.

Autre coïncidence heureuse, il n’y avait pas de temps perdu pour moi : le Meïnam partait le soir même. Deux jours après, nous arrivions à Pondichéry, capitale des possessions françaises de l’Inde.

On sait que de ce vaste empire colonial, que nos rois et le courage des gentilshommes de l’époque nous avaient acquis, il reste aujourd’hui peu de chose : Pondichéry, Karikal, Mahé, quelques villages ou aldées, enfin Chandernagor, maigres enclaves dans le territoire anglais.

Pondichéry, qui seule va nous occuper un instant, est une toute petite ville sur le bord de la mer, sans port ; c’est une rade foraine. Le bâtiment est obligé de mouiller assez loin de terre, et l’on prend, pour descendre, des barques spéciales très légères et très profondes, de grandes pirogues conduites par douze noirs vigoureux, qui ont fort à faire ; car il s’agit de franchir la barre, c’est-à-dire les grosses vagues qui se forment à environ un mille de la côte.

Tous ces noirs ont le lingam au bras, — non le lingam ailé des hauts grades lucifériens, mais l’amulette ordinaire ; — néanmoins, l’influence satanique se fait sentir, dans ce pays, même en dehors des fakirs, vrais initiés. Ainsi, ces noirs chantent, pendant la traversée, une mélopée qui doit leur rendre favorable, espèrent-ils, les esprits de la mer, dont le chef est Hizarbin. Or, cet Hizarbin, je l’ai su plus tard, est précisément le nom que les occultistes donnent à un démon comme génie des mers. D’autre part, ce chant étrange est un mêli-mêlo de diverses langues orientales, où l’arabe domine ; et j’ai remarqué que, dans cette mélopée, le nom d’Hizarbin revient souvent mêlé à celui d’Éblis, qui est le nom arabe de Lucifer et son nom maçonnique dans la légende d’Hiram, débitée et expliquée au grade de Maitre. (3e degré).

Cela a l’air d’une véritable incantation, et cela se termine, sur un signe du pilote, par une série de cris moins cabalistiques, tels que :

— Hourrah commandant !… Hourrah doctoro !… Hourrah commissari !… Hourrah papa !… Hourrah Madam-Dourga !… Hourrah baccich !…

Ce qui veut dire, somme toute :

— Hourrah pour le commandant !… Hourrah pour le docteur !… Hourrah pour le commissaire ! (bien entendu s’ils sont dans la pirogue),