Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/918

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plein de vie et de santé. Et c’est là le côté affreusement terrible de la méningite, le côté odieusement paradoxal. Mais alors déjà la maladie, si elle échappe à l’œil tendrement vigilant de la mère, n’échappera pas à celui du médecin exercé. Il a reconnu chez l’enfant certains troubles prémonitoires : une pâleur insolite alternant avec des bouffées de rougeurs intenses et fugaces de la face ; des congestions partielles, des troubles surtout pupillaires, mais qui disparaissent brusquement.

Peu à peu aussi, le caractère de l’enfant change dans son ensemble ; il s’assombrit. Au milieu de ses jeux, il s’arrête soudain ; il rougit, puis pâlit ; sa petite tête se penche, et il s’assoupit sans en avoir en conscience, s’endort d’un sommeil lourd et pesant, d’une plus ou moins longue durée. Le réveil a lieu, inquiet, avec un peu de céphalalgie, gravative, avec un point sus-orbitaire, plus spécialement. Puis, tout reprend on semble reprendre chez le petit malade ; mais la rémission est de courte durée et n’est, du reste, pas absolue. Déjà, en effet, l’appétit est perdu, l’urine devient plus rare, la constipation se montre, la tête s’alourdit, les pupilles se dilatent et restent en état de mydriase, ou se rétrécissent comme un point, jusqu’à rendre la vue impossible. L’enfant, en un mot, est profondément touché dans son économie. Les traits se tirent, la peau s’amincit ; il commence à ressembler à un petit vieux, sérieux, tandis que sur les lèvres légèrement tremblantes erre par intervalles, par une ironie qui serre le cœur de celui qui l’observe, un sourire bon, doux, presque gai quelquefois, comme un dernier rayon de soleil, de vie et d’espoir. L’enfant s’est alité.

Puis, aussi quelquefois, et comme par un miracle (hélas ! de courte durée), l’enfant se relève tout à coup et parait absolument guéri. En quelques heures, toutes traces de maladie ont disparu, et l’enfant retourne à ses jouets. Cela dure ainsi deux heures ou deux jours, et subitement tout s’écroule en deux secondes. L’enfant vient de lâcher le polichinelle qu’il tenait et s’endort ; le coma l’a saisi ; il ne s’en tirera plus. Alors, il est étendu, immobile, inconscient ; une sorte de mouvement des doigts qui se contractent plus ou moins, un « ramassage » diffus des mains sur la couverture, et c’est tout. La mort l’a surpris brusquement. Un jouet sur le tapis de la chambre, une forme vague couchée dans le berceau ou le petit lit, un pli vivant, des langes ou des habits, dessinant un geste ; c’est tout ce qui restera de lui. Il est allé continuer son rêve, à peine ébauché, dans un monde d’où l’on ne revient pas, laissant à sa mère en pleurs le souvenir de son dernier regard et de son dernier geste, qui se sont adressés à elle tous deux.

J’ai tenu à présenter au lecteur cette rapide esquisse de la méningite ; sans entrer dans les détails techniques, je l’ai dessinée aussi complète