Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/929

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Cet exercice est, d’ailleurs, familier aux mauvais esprits. Ce déplacement des choses et des êtres est un des tours les plus fréquents, les plus habituels de leur répertoire ; et les maisons hantées en apportent la preuve frappante, sans cesse renouvelée, que les aveugles seuls persistent à ne pas voir. Pourquoi cette fumisterie du démon ? dans quel but ? quel plaisir peut-il y trouver ? Autant de problèmes qui sont insolubles, pour nous, humains ; mais, ce qu’on ne peut contester, c’est que les faits sont là.

Eh bien, cet exercice inexplicable, ce déplacement par des forces inconnues, est encore plus caractéristique chez les petits banabacks, et j’ai eu précisément l’occasion de le constater, d’en être stupéfié, dans ce voyage dont j’ai parlé tout à l’heure, à bord du La Bourdonnais. J’ai vu, de mes yeux vu, quelques-uns de ces enfants de Jézides, des tout petits, entendez bien, à peine les matelots avaient-ils le dos tourné, escalader en quelques secondes, comme des écureuils, des hauteurs vertigineuses, jusque dans la mature ; et ils étaient là, cramponnés comme des crabes, l’air grave et ahuri tout à la fois, et rien n’était plus difficile que de les contraindre à descendre. Le temps que les matelots les plus agiles mettaient à aller les rejoindre, pour les arracher de ces postes périlleux, était, sans aucune comparaison, infiniment plus long que celui que les petits banabacks avaient employé ; chez eux, l’ascension avait été si rapide, qu’on peut, sans exagération, la qualifier de presque instantanée.

Mais, dans cette race de diabolisants à outrance, les parents ne s’effraient nullement : ils « savent » ; je les voyais sourire d’un sourire énigmatique ; et, lorsqu’ensuite je les interrogeais, ils me répondaient selon leur habitude énervante, avec ce hochement de tête de bas en haut, accompagné d’un petit clac sec de la langue au palais, onomatopée muette qui veut tout dire et ne veut rien dire, et d’où il est impossible, quelque insistance qu’on y mette, de les faire sortir.

Je le répète, ce déplacement, ce juchement est une des caractéristiques principales de l’état de possession démoniaque d’un enfant. Et qu’on ne vienne pas me dire que ces faits sont naturels et que tous les bambins font cela ; car je répondrai : — Oui, ils grimpent sur des tabourets, des coussins, des chaises à la rigueur, partout où leurs forces leur permettent d’arriver ; mais jamais, au grand jamais (sauf dans les cas spéciaux sur lesquels j’insiste), on ne voit des marmousets du premier âge escalader des corniches à pic, des murs, plans, ou la mature d’un navire ; il y a là précisément la ligne de démarcation qui existe absolue entre le naturel, même poussé à ses dernières limites, et le surnaturel qui est une chose à part et qui n’en provient ni n’en découle. Prendre pour un fait normal ces étranges exercices, toujours soudains, des petits