Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/260

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de la lutte entre mes Loges et les scélérats jésuites. Il a rempli son rôle à merveille, donnant toujours sa signature et jouant le bon enfant qui ne veut créer aucun embarras à ses ministres. Oui, le Frère Grévy a été excellent pour le bien de notre sainte cause. Je lui avais donné l’auréole de l’austérité, et je lui octroyais les biens de ce monde, ceux qu’il aime le plus : je l’ai fait riche, sur sa prière ; car il me supplia, un jour, de le combler d’argent. C’était six ans après la guerre avec l’Allemagne. Le Frère Grévy, pour n’être plus maçon actif, ne me bénissait pas moins ; je l’avais encouragé, dès ses premiers pas dans la vie politique ; il m’en était reconnaissant. Souvent, le soir, avant de s’endormir, il pensait à moi et murmurait : « Le dieu des catholiques n’est pas tout-puissant, puisqu’il est sans force contre la Franc-Maçonnerie, dont je suis le mandataire en cette présidence ; mieux vaut travailler pour le Grand Architecte que pour le Sacré-Cœur » ; et il ajoutait : « Grand Architecte de l’Univers, faites que je meure dans la richesse, et je vous promets de toujours vous bien servir. » Ce chef d’État, cher à mon cœur, a souffert de la méchanceté d’Adonaï ; le Dieu-Mauvais ne lui pardonnait pas d’avoir consenti à l’expulsion de quelques moines ; il s’est vengé, mais j’ai maintenu au Frère Grévy la richesse… Je n’aime pas son successeur, quoiqu’il obéisse aussi avec fidélité à mes Loges ; il finira mal, il est mal entouré…

Je ne crois pas qu’en parlant en ces termes Lucifer ait voulu faire allusion à la mort tragique du président Carnot ; car je sais aujourd’hui qu’il ne connaît de l’avenir que ce que Dieu veut bien lui en laisser entrevoir parfois. D’ailleurs, en prononçant ces mots, le prince des ténèbres n’appuya pas ; son ton était celui d’une causerie très ordinaire ; à ce passage, il ne montra aucune animation. Je crois que, tout simplement, il pressentait une mort dans les bras de l’Eglise et qu’il ne comptait plus sur cette âme, n’ignorant pas que des ferventes prières étaient quotidiennement faites pour son salut.

Il simula donc le dédain, à l’égard du président Carnot. Au contraire, il semblait fort affectionner le Frère Grévy ; il revenait avec complaisance sur sa conduite politique.

— Le Frère Grévy a ouvert la bonne voie, fit-il ; il aura contribué à assurer à mes Loges la conquête de la France. Je voudrais que grand nombre de chefs d’État ressemblassent à lui ; aussi, je lui prépare une place d’honneur chez moi.

Il termina, en recommandant à tous la plus grande vénération pour son vicaire Albert Pike.

Voici : on apporte la flèche de fer, sur un riche coussin ; une table est disposée, avec le papier nécessaire.