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Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/271

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Mais qui vient donc à l’aide de la fille du sudiste, elle-même bien connue pour ses sentiments de mépris à l’égard de la race noire ? qui vient la sauver de la plus horrible mort ? Un jeune homme est là, blanc et beau, le visage enflammé d’une lumière inconnue alors pour moi. Des deux bras il a écarté les coquins ; tous, sans qu’il les ait occis ou blessés, roulent à terre. Je reviens comme du tombeau. Je contemple ce sauveur inespéré, je ne sais que penser. Lui, il me prend la main, et voilà qu’il me semble que mon corps quitte le sol.

Je presse sa main amie, qui m’entraîne. Où vais-je ? que m’advient-il ? Les arbres de la forêt écartent leurs branches pour me livrer passage. Est-ce que je rêve ? non. Le jeune blanc est là, à mes côtés, sa main n’abandonnant pas la mienne ; mais mes pieds ne reposent plus sur le solide ; nous montons, nous montons à travers les airs.

Mon regard plonge au-dessous de moi. Oh ! maintenant nous sommes bien haut. Là-bas, le soleil descend à l’horizon. J’ai confiance en mon guide, dont l’œil plein de bonté me sourit ; mais j’ai peur du vide, je ne m’habitue pas encore à cette sensation étrange du voyage aérien. C’était la première fois que l’extranaturel se révélait à moi. Chose curieuse au fur et à mesure que les objets terrestres, en s’éloignant, diminuaient de grosseur à ma vue, je les apercevais plus nets, avec couleurs plus vives.

Cependant, il me semble que je vis d’une autre vie, d’une vie nouvelle. Mon sang bouillonne, et puis se calme ; j’ai les mains brûlantes, et puis froides. Une sorte de langueur envahit tout mon être. Un moment, je ne vois plus rien ; tout se trouble ; je distingue pourtant mon compagnon ; j’ai l’impression d’une humidité ; cela provient de ce que nous traversons un nuage. Ensuite, ce nuage est à nos pieds ; tache grise, masquant une portion de la campagne terrestre, qui diminue toujours là-bas.

Étrangeté encore la Terre est ronde ; ce que j’en aperçois doit donc paraître convexe, va-t-on croire. Eh bien, non ; l’effet est, au contraire, d’une grande nappe d’une étendue infinie, et concave ; tout ce qui est directement au-dessous de nous est aplati, et ce qui est au loin, adroite, à gauche, devant, derrière, a l’aspect de bords plus élevés que le reste mais ce ne sont pas des bords.

Je ne puis me défendre d’un frémissement, en promenant ma vue sur ce panorama où les cours d’eau semblent des rubans argentés. Quel dessin merveilleux ! J’admire, mais je me demande avec frayeur ce qu’il adviendrait de moi, si mon compagnon venait à lâcher ma main.

Il a lu ma pensée dans mon regard.