Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/100

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le roulait sur son lit, car il avait un goût de sel dans la bouche : c’était ses dents qui saignaient. Il songea à nager, étendit les bras et s’accrocha à un lit. À ce moment-là, il sentit que deux fois Nikîta le frappait dans le dos.

Ivan Dmîtritch poussa un grand cri ; on devait le battre aussi.

Ensuite tout se calma… La lumière liquide de la lune filtrait à travers les grilles et détachait sur le plancher une ombre pareille à un filet ; c’était effrayant ! André Efîmytch se coucha, retenant sa respiration : il s’attendait avec effroi à être battu encore.

Il lui semblait qu’on lui avait enfoncé une faucille dans le corps et qu’on la lui avait retournée dans les viscères et dans la poitrine. De douleur, il mordait son oreiller et serrait les dents, lorsque, tout à coup, dans le désarroi de son esprit, lui revint la pensée, claire, insupportable, effroyable, que pendant des années, chaque jour, ces mêmes hommes qui, à la lumière de la lune, lui semblaient des fantômes, avaient dû supporter cette même souffrance !… Comment avait-il pu se faire que, dans l’espace de plus de vingt années, il ne se fût pas rendu compte de cela ? Il ne savait pas. Il n’avait pas connu la douleur, donc il n’était pas coupable. Mais cependant sa conscience, aussi dure et aussi intraitable que Nikîta, lui faisait