Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/191

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couraient dans un mouvement perpétuel, sans repos et sans espoir de repos. Tout le jour, et avant dans la nuit, ils avaient la même figure de gens qui courent on ne sait où, inquiets d’on ne sait quoi. Leurs visages restaient, malgré l’expression d’une extrême fatigue, aussi affables et aussi gais ; leurs voix étaient douces, leurs mouvements pressés. Ils devaient à chaque personne, arrivant à pied ou en voiture, trouver et montrer une place où passer la nuit, et donner à manger et à boire. Aux sourds, aux imbéciles, aux bavards, il fallait expliquer à tout bout de champ et longuement qu’il n’y avait plus de chambres libres, et pourquoi le service se faisait à telle heure ; que l’on vendait les pains de communion à tel endroit… Il fallait courir, porter mille choses diverses, parler sans cesse, et être aimable et plein de tact, veiller à ce que les Grecs de Marioûpol, qui vivent plus confortablement que les Petits-Russiens, ne soient mis qu’avec des Grecs ; prendre garde à ce qu’une bourgeoise de Licitchansk ou de Bakhmout « bien habillée » ne fût pas fourvoyée avec des moujiks et ne s’en offensât pas. On entendait répéter sans cesse : « Petit père, donnez-nous du kvass [1] ! Donnez-nous un peu de foin ! » ou bien : « Petit père, puis-je

  1. Boisson fermentée, faite avec de l’orge ou du pain noir. Les couvents ont la réputation de faire de très bons kvass. Ils en donnent aux pèlerins. (T.)