Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/195

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perdu leur voix. Il y avait cependant dans son visage quelque chose de caractéristique, de typique, de très connu ; mais qu’était-ce précisément, je ne pus jamais arriver à le démêler. Il resta longtemps sans mot dire, réfléchissant. Comme je n’avais pas répondu à sa remarque sur les os de la morgue, il pensait sans doute que j’étais fâché et que sa présence m’incommodait. Il finit par tirer de sa poche un saucisson qu’il tourna quelque temps devant ses yeux et me dit timidement :

– Pardon, je vais encore vous déranger !… N’auriez-vous pas un couteau ?

Je lui donnai mon couteau, il coupa un morceau de saucisson.

– Sale saucisson, maugréa-t-il ; dans les cantines d’ici on ne vend que de la saleté et on vous écorche horriblement. Je vous en proposerais bien un petit morceau, me dit-il, mais je crois que vous ne consentiriez pas à y goûter… En voulez-vous ?

À son je vous en proposerais bien et à son y goûter je sentis aussi quelque chose de typique, ayant je ne sais quoi de commun avec les caractères de son visage, mais qu’était-ce au juste ? je ne pus pas encore le trouver. Pour lui inspirer confiance et lui montrer que je n’étais pas fâché, je pris le morceau qu’il m’offrait. Le saucisson était réellement affreux. Pour en venir à bout, il eût fallu les dents d’un bon chien de garde.