Page:Tchekhov - Une demande en mariage.djvu/14

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au coin du feu, avec de la tisane à votre portée. Pauvre chasseur !

Tchéboukof

C’est vrai, aussi, avec vos palpitations ! Si seulement vous étiez un vrai chasseur ! Mais vous chevauchez toujours à l’écart, afin de pouvoir contester chaque pièce et de gâter le travail des chiens d’autrui. Et puis, encore une fois, laissons là cette discussion. Vous n’êtes pas un vrai chasseur, voilà tout, et n’en parlons plus.

Lomof

Et vous, vous prenez-vous donc pour un chasseur ? Si vous ne vous écartez pas de Miranof, c’est pour l’aduler, pour intriguer. Le mot est lâché : vous n’êtes qu’un intrigant !

Tchéboukof

Misérable, taisez-vous !

Lomof

Oui, un intrigant !

Tchéboukof

Polisson !

Lomof

Vieux rat !

Tchéboukof

Silence, ou je vous tords le cou comme à un poulet !

Lomof

Personne n’ignore — oh ! mon cœur ! — que votre défunte femme — oh ! ma jambe ! — vous battait — oh ! je meurs !

Tchéboukof

Et toi, tu vis sous la savate de ta gouvernante !

Lomof

Voilà, voilà, ça y est, mon cœur a éclaté, mon épaule se détache, je… je… Un médecin !

Natalia

Hou, hou, le vilain pistolet !

Lomof

Un médecin !… un mé…

(Il s’évanouit.)
Natalia

Voyez-moi ce chasseur ! Serait-il même capable de se tenir encore en selle, je vous le demande ?… Papa, qu’est-ce qu’il a ?… Regarde-le, Papa… Ivan Vassiliévitch ! Il est mort !

Lomof

J’étouffe !… De l’air !…

Natalia

Il est mort ! (Elle le secoue par une manche.) Ivan Vassil… Ivan Vass… Qu’avons-nous fait ! Nous l’avons assassiné !

(Elle tombe à la renverse sur le fauteuil, qui fait le pendant de celui où Lomof s’est affalé.)
Tchéboukof, entre les deux fauteuils.

Qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que vous avez ?

Natalia

Il meurt… Je meurs… Nous mourons…

Tchéboukof

De l’air ! De l’eau ! Des médecins ! (Il appuie un verre d’eau sur les lèvres de Lomof.) Buvez, saperlipopette ! Buvez donc ! Il ne boit pas. Lui qui aimait tant les verres d’eau ! Il ne boira plus. Malheureux que je suis ! Pourquoi ai-je attendu jusqu’à ce jour pour me pendre, m’égorger, m’étrangler, m’étouffer, me noyer, m’empoisonner avec le premier revolver venu ! Un poignard ! Qu’on me donne un poignard ! (Lomof remue.) Il ressuscite ! Tenez, buvez.

Lomof

Où suis-je ? Qui vois-je ? Que deviens-je ?

Tchéboukof

Mariez-vous, et vite, et puis allez-vous-en tous les deux au diable ! (Il empoigne leurs quatre mains et les unit.) Elle consent. Je vous bénis. Et à présent, laissez-moi tranquille.

Lomof

Hein ? Elle consent ? Qui ? À quoi ?

Tchéboukof

Oui, oui, embrassez-vous, et déguerpissez, que je n’entende plus de pareils vacarmes.