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Tchéboukof

Alors, pourquoi diable ce frac ? Nous n’en sommes pas encore aux visites du premier de l’an.

Lomof

Vous allez savoir de quoi il s’agit. (Il lui saisit le bras). Je me suis rendu ici, inestimable Stépane Stépanovitch, pour vous importuner d’une prière. À plusieurs reprises déjà, j’ai eu l’occasion de solliciter votre concours, ou plutôt de faire appel à votre obligeance, et toujours vous… en somme… pour ainsi dire… Excusez-moi, je me sens un peu agité… Il faut que j’avale un verre d’eau, inestimable Stépane Stépanovitch.

(Il boit.)
Tchéboukof, à part.

Il y a de l’emprunt dans l’air. Va, va, mon petit, tu n’auras pas un kopek. (Haut.) De quoi s’agit-il au juste, mon bel ami ?

Lomof

Voici, inest… Stépanovitch, pardon, Stépane Stépanovitch… Oh !… Ho ! que je suis donc agité ! N’est-ce pas que je suis effroyablement agité ?… Bref, il n’y a que vous qui puissiez m’aider en l’occurrence, bien que, je l’avoue, je n’aie rien fait pour avoir droit à avoir, je veux dire à être…

Tchéboukof

Ne tergiversez pas de la sorte, malheureux ! Expliquez-vous une bonne fois. Allons !

Lomof

Tout de suite. M’y voilà. (Précipitamment.) Je suis venu vous demander la main de votre fille Natalia Stépanovna.

Tchéboukof, exultant de joie.

Ô le plus délicieux des amis, répète ce que tu as proféré là, répète-le, car je crains d’avoir mal entendu.

Lomof, gravement.

J’ai l’honneur de vous demander…

Tchéboukof, l’interrompant.

Cher, très cher, vous me voyez transporté d’aise. (Il lui donne accolade sur accolade.) Aussi bien, il y a longtemps que je désirais cette union. Que dis-je, elle a toujours été mon rêve secret. Je vous ai toujours aimé comme un fils. Que le ciel vous accorde à tous deux… Bon ! qu’est-ce que je fais là, moi, à rester planté dans cette pièce, alors que… Ce n’est pourtant pas le moment de perdre la tête. Je cours chercher Natalia.

Lomof, le retenant.

Inestimable Stépane Stépanovitch, pensez-vous que je puisse espérer d’elle une réponse favorable ?

Tchéboukof

Belle question ! Natalia éconduire un gaillard de votre prestance ! Je gagerais que déjà elle raffole de vous. Patientez un instant.

(Il sort.)



Scène II

LOMOF


Lomof, seul.

J’ai froid. Je frissonne de la tête aux pieds, comme jadis à la veille d’un examen… Le principal, c’est de se décider. C’est dur, mais c’est urgent. À force de réfléchir, et de se consulter, et de discuter avec soi-même, et d’attendre son idéal et le grand amour, on n’arrive qu’à rester vieux garçon… C’est égal, j’ai joliment froid… Natalia Stépanovna est une parfaite femme d’intérieur, et puis elle n’est pas laide, elle a de l’esprit. Que puis-je souhaiter de mieux ?… D’agitation en agitation, j’en ai des bourdonnements plein les oreilles. (Il boit un verre d’eau.) Il faut absolument que je me range enfin. D’abord, j’ai trente-cinq ans, et c’est un âge critique entre tous. Ensuite, j’ai grand besoin d’une existence soigneusement réglée. J’ai une maladie de cœur, avec des palpitations à propos de tout et de rien. Je suis presque constamment agité. Ainsi, en ce moment, mes lèvres tremblent, et j’ai un battement de la paupière supérieure droite. Mais ce qu’il y a de plus atroce, c’est mon sommeil. Ou plutôt, mon insomnie quasi perpétuelle. À peine suis-je installé dans mon lit, à peine commencé-je à m’assoupir, et, tic ! un lancinement me prend dans le flanc droit, pour me remonter dans la tête en passant par l’épaule gauche. Je me lève comme un fou, je fais les cent pas. Au bout d’un quart d’heure, souvent davantage, quand je crois mes nerfs matés, brisés, écrasés, je me recouche… et, tic ! cette fois, c’est dans le flanc gauche, et cela me remonte dans la tête en passant par l’épaule droite. Et il y a des nuits où cela se renouvelle jusqu’à vingt fois de chaque côté !