Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/22

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cher. Je connais assez les dispositions mondaines de ma tante pour pouvoir vous assurer qu’en voulant ainsi la convertir d’assaut, nous n’arriverions à d’autres résultats que de la faire persister dans ses voies funestes, loin d’arracher cette âme au péril qui la menace. Pour se soustraire à l’effroi, à l’ennui que vous lui inspirerez, elle jettera vos livres par la fenêtre et nous fermera sa porte au nez.

— Pitt, Pitt, vous appartenez aux pompes de ce monde au moins autant que miss Crawley, dit lady Émilie, en remportant ses précieuses brochures.

— Inutile de vous dire, chère lady Southdown, continua Pitt à voix basse, sans s’arrêter à cette interruption, combien un manque d’égards ou de prudence pourrait causer de préjudice à nos espérances sur les biens terrestres et périssables de miss Crawley. Sa fortune atteint à un chiffre de soixante-dix mille livres sterling ; pensez de plus à son grand âge, à son tempérament nerveux et délicat. Il existait un testament en faveur de mon frère le colonel Crawley ; elle l’a détruit, je le sais… Beaucoup de douceur, voilà ce qu’il faut employer pour cette âme souffrante et blessée ; évitons donc par-dessus tout ce qui tendrait à l’aigrir, à l’irriter. J’espère en conséquence que vous conclurez avec moi qu’il…

— Certainement, certainement, reprit lady Southdown. Jane, mon enfant, il est inutile d’écrire ce billet au docteur Irons. Puisque la santé de miss Crawley la met hors d’état de supporter les fatigues de la discussion, nous attendrons qu’elle aille mieux. J’irai toutefois la voir demain.

— Si vous m’en croyez, belle dame, ajouta encore sir Pitt d’un ton caressant, vous n’y conduirez pas notre ardente Émilie ; elle pousse trop loin le prosélytisme : je vous engage plutôt à prendre la douce et tendre lady Jane.

— Certainement, certainement, Émilie bouleverserait tous nos plans, » repartit lady Southdown reconnaissant la justesse de cette observation.

Pour cette fois donc la comtesse renonça à sa méthode ordinaire d’accabler sous le poids de ses indigestes et rebutants traités la victime que voulait frapper et réduire son ardeur convertissante, c’est ainsi que dans les batailles la canonnade précède toujours les charges de cavalerie française. Quoi qu’il en soit, et sans que nous puissions dire si ce fut par égard