Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/28

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appliquant toutes les facultés de leur esprit à cette édifiante occupation.

La timide lady Jane rougit beaucoup ce soir-là.

Aucune des manœuvres de M. Pitt n’échappait à l’attention de ses chers parents du rectorat de Crawley-la-Reine. L’Hampshire et le Sussex sont limitrophes, et mistress Bute tirait parti du voisinage ; elle savait tout ce qui se passait dans la maison de miss Crawley et même plus encore. Pitt n’en quittait plus. Pitt était des mois entiers sans venir au château, où son abominable père se livrait sans réserve à sa passion pour le rhum et à de déplorables familiarités avec les Horrocks. Les progrès de Pitt auprès de sa tante portaient au comble de la rage ses excellents parents du presbytère. Tout en se gardant bien de convenir de ses torts, mistress Bute s’en voulait beaucoup d’avoir été si arrogante avec Briggs, si avare à l’égard de Bowls et de Firkin ; si bien que de tous les gens de miss Crawley, il ne s’en trouvait plus un seul qui voulût lui donner des renseignements.

« Aussi c’est la faute à Bute, disait-elle, revenant toujours à son argument favori ; qu’avait-il besoin de se casser le cou ? si cela n’était point arrivé, j’aurais encore cette vieille fille à merci. Ah ! monsieur Bute, je suis victime de mon devoir et de vos habitudes vagabondes et nullement orthodoxes.

— Mes habitudes vagabondes ! allons donc ! c’est vous qui l’avez effarouchée, Barbara, reprit l’homme de la parole sainte, je ne vous conteste pas votre adresse, mais vous avez un diable de caractère ; et puis vous serrez trop bien votre argent.

— Si je ne serrais pas si bien le vôtre, monsieur Bute, vous seriez déjà serré en prison.

— Eh bien oui ! chère amie, reprit le recteur d’un ton calin, on rend justice à votre habileté, mais vous êtes trop regardante, entendez-vous. »

Le saint homme chercha au fond d’un grand verre de bière, comme un supplément d’éloquence ; puis il reprit :

« Quel agrément peut-elle avoir avec une poule mouillée comme ce Pitt Crawley ; un garçon qui prendrait ses jambes à son cou si une oie le regardait de travers. Quand Rawdon, un gaillard celui-là, le poursuivait à coups de fouet autour de l’écurie, Pitt se sauvait appelant papa, maman, à son secours ; un de mes garçons n’aurait qu’à le toucher du doigt pour le faire