Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lord Wainas fumait une immense pipe d’écume de mer, le capitaine Hugues s’époumonait à faire brûler son cigare, et le fougueux petit Tandyman, retenant son terrier entre ses jambes, faisait une partie de cartes avec le capitaine Deuceace. Il ne passait pas un instant sans être à gagner ou à perdre avec quelqu’un. Mac et Rawdon partirent pour le club sans que personne eût pu soupçonner leurs préoccupations, et même ils avaient pris comme les autres leur part de ces folles et rieuses conversations. Et pourquoi en auraient-ils agi autrement ? est-ce que tous les jours, dans la vie, ce ne sont pas des fêtes, des éclats de rire, des orgies à côté des plus tristes événements ? La foule sortait des églises au moment où Rawdon et son ami traversèrent Saint-James-Street et arrivèrent au club.

Les vieux barbons qui, d’ordinaire dans les clubs, se postent sur le balcon et de là lorgnent et grimacent en regardant les passants, qui s’amusent de leur mine bizarre, ne garnissaient point encore leur rampe de velours. La salle de lecture était presque vide, et il ne s’y trouvait encore qu’un habitué inconnu de Rawdon, et un autre envers lequel il restait débiteur d’une petite somme perdue au whist ; aussi n’était-il pas bien pressé d’engager la conversation avec lui ; un troisième personnage lisait le Royaliste, feuille célèbre par sa médisance et son attachement au roi et à l’Église. Ce lecteur, replaçant le journal sur la table, et levant les yeux sur Crawley, lui dit d’un air affectueux :

« Crawley, recevez nos sincères félicitations.

— Que voulez-vous dire ? fit le colonel étonné.

L’Observateur en parle tout aussi bien que le Royaliste.

— De quoi ? » s’écria Rawdon rouge jusqu’aux oreilles et croyant déjà la presse au courant de ses affaires avec lord Steyne.

Smith regarda avec un sourire de surprise la figure terrifiée du colonel, qui, prenant la feuille, se mit à parcourir le passage qu’on lui indiquait. M. Smith et M. Brown, le joueur de whist, avec lequel Rawdon était en compte, venaient justement de s’entretenir du colonel quelques minutes avant son arrivée.

« Cela lui arrive fort à propos, avait dit Smith, car je crois que Crawley n’a plus un shilling vaillant.

— C’est une rosée bienfaisante dont tout le monde ressentira