Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/331

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L’ancienne gaucherie de Jos et sa funeste maladie de rougir à tout propos semblaient avoir cédé désormais devant la conscience de sa valeur personnelle, et s’il éprouvait encore sous le regard des femmes, aux bals du gouverneur, un certain malaise suivi de quelque rougeur, si leurs œillades le faisaient fuir avec un reste d’effroi, c’était uniquement parce qu’il avait peur d’inspirer une trop forte passion dont il n’aurait su que faire avec sa résolution bien arrêtée de ne jamais se marier, et cependant tout Calcutta ne possédait personne qui pût y faire aussi bonne figure que Waterloo Sedley. C’était lui qui avait le train de maison le plus splendide, c’était lui qui donnait les meilleurs déjeuners de garçon, c’était lui qui avait la cuisine la mieux montée.

Pour faire un habit à un homme de sa circonférence et de son importance, le tailleur demanda au moins un jour, qui fut employé par Sedley à chercher un domestique pour le servir lui et son nègre, à aller retirer ses bagages, ses boîtes et les livres qu’il n’avait jamais lus, ses caisses de provisions, ses châles destinés il ne savait pas encore bien à qui, et enfin tout le reste de ses richesses indiennes.

Le troisième jour, Jos se décida enfin à partir pour Londres dans tout l’éclat de sa nouvelle toilette. Le nègre installé sur le siége à côté du domestique européen claquait des dents et grelottait de froid sous le tartan qui l’enveloppait. Jos fumait dans la voiture et de temps à autre lâchait une bouffée de tabac par la portière. Il avait un extérieur si majestueux et si solennel que les gamins accouraient pour le voir passer et le prenaient tout au moins pour le gouverneur général. Quant à lui, on peut en être assuré, il se rendait volontiers aux invitations empressées des hôteliers de la route ; il ne manqua pas une seule fois de se rafraîchir dans toutes les petites villes qu’il traversa.

Par précaution, il avait pris avant le départ un copieux déjeuner à Southampton, composé à la fois de riz, de poisson et d’omelette ; l’estomac ainsi garni, il avait pu aller jusqu’à Winchester, où un verre de xérès lui avait paru nécessaire. À Alton, il était descendu pour goûter à la bière, en grand renom dans la localité. À Farnham, il s’était arrêté pour visiter le château de l’évêque et prendre une légère collation composée d’anguilles, de côtelettes, de haricots de Soissons, le tout ar-