Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couronnée d’un rayon de soleil se réfléchit dans les ondes majestueuses qui baignent vos pieds, qui peut jamais vous avoir contemplés sans emporter un souvenir reconnaissant de cette splendeur et de ce calme qui récrée et repose les yeux de l’homme ?

Laissons un moment la plume et rêvons aux magnificences des bords du Rhin, qui sont pour l’âme comme la source d’une joie secrète. À cette époque, par une belle soirée d’été, les vaches descendent par troupeaux du haut des collines, mêlant leurs longs mugissements au bruit aigu de leurs clochettes ; dans le lointain, on aperçoit quelque vieille cité avec ses fossés, ses poternes et ses tours féodales, avec de vastes allées de marronniers en dehors des remparts, projetant sur l’herbe une ombre bleuâtre ; le ciel répand à la surface du fleuve ses teintes de poudre et d’or ; la lune s’élève à l’horizon, pâle et décolorée, à l’opposé des feux du couchant. Enfin, le soleil a disparu derrière ces hautes montagnes hérissées de châteaux forts ; la nuit a soudainement étendu ses voiles sur le ciel, et le fleuve s’assombrit de plus en plus. Quelques faibles lumières errantes sur les remparts s’agitent de loin en loin à la surface des eaux paisibles et majestueuses, ou bien les clartés isolées de quelque pauvre chaumière scintillent comme un feu follet à l’autre versant du fleuve.

Insensible à toutes ces merveilles, Jos se livre au sommeil ; enveloppé dans son foulard, il se met à son aise, ou bien encore il parcourt les nouvelles anglaises contenues dans les colonnes du Galignani, feuille bénie de tous les Anglais qui voyagent loin du sol natal. Du reste que Jos dormît ou non, ses amis ne s’apercevaient que fort peu de son absence.

Ce fut là qu’Emmy apprit à goûter des plaisirs jusqu’alors inconnus pour elle ; ce fut là que, pour la première fois, elle fut initiée aux merveilles de Mozart et de Cimarosa. Nous avons déjà entretenu nos lecteurs des prédilections du major pour la musique et de l’ardeur avec laquelle il se livrait à l’étude de la flûte ; mais son plus grand bonheur était de voir le ravissement que ces opéras causaient à Emmy. Un nouveau monde se révélait à elle au milieu de ces suaves et mélodieuses harmonies. Les chefs-d’œuvre de Mozart pouvaient-ils laisser insensible une âme aussi exquise et aussi délicate ? La tendresse de certains passages de Don Juan avait caressé son âme de si