Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/368

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major. Mais qui de nous n’a pas aussi ses heures de méprise ? qui de nous n’a pas maintes fois changé d’opinion sur son héros ? Emmy, dans ces jours de bonheur qu’elle goûtait maintenant, sentit ses idées se modifier singulièrement sur le compte du major.

Ce temps fut peut-être le plus heureux de la vie d’Emmy. Toutefois, qui de nous peut se faire une juste idée de son bonheur ? qui de nous peut s’arrêter et dire : « Je suis maintenant au comble de mes vœux ; je touche au faîte des félicités humaines ? » Quoi qu’il en soit, chacun de nos deux voyageurs goûtait, dans cette tournée d’été, une joie aussi complète qu’aucun des couples qui, cette année, étaient partis de l’Angleterre. Georgy ne les quittait point ; mais c’était le major qui portait le châle d’Emmy, qui prenait soin de ses affaires, dans leurs excursions vagabondes, pendant que notre jeune espiègle courait toujours en avant et grimpait sur les arbres ou les ruines des vieux châteaux. Nos deux paisibles touristes s’asseyaient sur l’herbe, et le major fumait son cigare avec un sang-froid imperturbable, tandis qu’Emmy dessinait un paysage ou de vieilles ruines. Ce fut pendant ce voyage que l’auteur de la présente histoire eut l’avantage de faire la connaissance de ses héros.

On était alors dans la charmante petite capitale du grand-duché de Poupernicle, la même ville où sir Pitt Crawley avait rempli avec tant de distinction l’office d’attaché.

Le major et sa société étaient descendus avec les domestiques à l’hôtel des Princes, le meilleur de toute la ville, et le soir, les voyageurs dînèrent à la table d’hôte. Tout le monde remarqua l’air majestueux et grave que Jos mettait à sabler ou plutôt à déguster le johannisberg qu’il avait demandé. On put aussi constater que l’enfant était doué d’un excellent appétit, et qu’il engloutissait bœuf grillé, côtelettes, salades, puddings, volailles rôties et plats sucrés avec une résolution qui faisait honneur aux mâchoires de son pays. Après avoir ainsi tenu bon devant une quinzaine de plats, il ferma la marche par l’absorption de quelques friandises, en ayant soin par prévoyance de remplir en même temps ses poches. Plusieurs des convives charmés de ses manières ouvertes et aimables l’aidèrent eux-mêmes à dévaliser les assiettes de macarons qu’il grignota en se rendant au théâtre où tous les bons et flegmatiques allemands allaient