Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/387

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à un débris du navire comme à une dernière chance de salut, sent peu à peu ses forces l’abandonner et finit par lâcher tout et se laisse aller au fond de l’abîme qui se referme sur lui.

Becky errait à l’aventure dans la ville de Londres, tandis que son mari prenait toutes ses dispositions pour se rendre au poste qui venait de lui être désigné ; elle fit, comme on n’en peut douter, plus d’une tentative pour revoir son beau-frère et réchauffer des sentiments auxquels elle s’était, en quelque sorte, acquis des droits réels auprès de lui. Un jour où sir Pitt, en compagnie de M. Wenham, se rendait à la chambre des communes, ce dernier découvrit mistress Rawdon qui, cachée sous un voile noir, faisait le guet aux abords du Palais législatif. Elle s’esquiva comme une couleuvre quand ses yeux rencontrèrent ceux de M. Wenham ; ses projets échouèrent donc en ce qui concernait le baronnet.

Peut-être aussi lady Jane y était-elle bien pour quelque chose. On nous a raconté que son mari fut tout étonné de l’énergique vigueur qu’elle déploya en cette occurrence et de la résolution avec laquelle elle se déclara contre mistress Becky. Elle engagea spontanément Rawdon à venir demeurer à Gaunt-Street jusqu’à son départ pour Coventry-Island. Dans son opinion, un pareil hôte ne pouvait manquer d’écarter Becky de sa porte. Toutes les adresses des lettres qui arrivaient pour son mari passaient rigoureusement par son inspection, dans la crainte que sa belle-sœur ne fût en correspondance avec sir Pitt. Mais pour écrire, il aurait fallu à Becky cette présence d’esprit que nous lui avons connue jadis. Or elle ne fit aucune tentative pour voir Pitt ou lui écrire chez lui, et obtempéra à ses désirs en ne lui faisant remettre de correspondance touchant ses débats matrimoniaux que par des gens d’affaire.

Le fait est que l’on n’avait rien négligé pour indisposer contre elle l’esprit de son beau-frère. Peu après l’arrivée de lord Steyne, Wenham avait eu une conférence avec le baronnet et lui avait communiqué sur mistress Becky des détails biographiques qui avaient fort étonné le député de Crawley-la-Reine. M. Wenham en savait long sur son compte ; il n’ignorait ni ce qu’était son père, ni l’année où sa mère avait débuté à l’Opéra, ni les détails de la vie antérieure de Becky et de sa conduite pendant son mariage. Comme nous sommes persuadé que la plupart de ces récits étaient accrédités par la malveillance, nous