Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/410

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bin. Il prit un air grave et solennel pour lui redire la touchante histoire qu’il venait d’entendre ; mais il eut soin d’omettre l’aventure de la nuit précédente. Tandis que nos deux amis discutaient ainsi sur ce qu’il y avait à faire pour mistress Becky, celle-ci achevait le déjeuner à la fourchette si brusquement interrompu par la visite de Jos.

Comment expliquer sa présence dans cette ville, l’abandon où elle se trouvait, ses courses vagabondes ? Le motif s’en trouve dans un des premiers classiques que l’on met aux mains des écoliers : Facilis descensus Averni, a dit le poëte. Jetons le voile sur cette partie de son histoire. Si Becky était alors encore un peu plus dépravée qu’au temps de ses grandeurs, la faute en était à la fortune qui l’avait fait descendre si bas.

Quant à Amélia, dont l’excessive douceur dégénérait presque en faiblesse, il lui suffisait d’apprendre que quelqu’un était malheureux pour que son cœur fût aussitôt touché d’une belle pitié en faveur de celui qui souffrait. L’idée du malheur d’autrui, alors même qu’il était mérité, lui était insupportable. Selon elle, il aurait fallu abolir les prisons, le Code pénal, les menottes, le fouet, la pauvreté, la maladie et la faim. Il y avait tant de bonté dans ce cœur, qu’il était toujours prêt à oublier même une injure mortelle.

En apprenant l’aventure sentimentale arrivée à Jos, l’impression du major ne fut pas tout à fait conforme à celle de l’ex-fonctionnaire du Bengale, et même son premier mouvement fut peu favorable aux infortunes de notre aventurière.

« La voilà donc revenue sur l’eau, cette petite drôlesse, » répondit-il tout d’abord à Jos.

Il n’avait jamais éprouvé pour Rebecca la plus légère sympathie ; loin de là, elle ne lui avait inspiré que de la défiance depuis le moment où les petits yeux perçants et verts de cette jeune intrigante s’étaient arrêtés sur les siens pour s’en détourner ensuite avec une pruderie affectée.

« Cette infernale créature porte le malheur à sa suite et le répand partout où elle va, dit-il, sans autres égards pour mistress Rawdon ; qui sait le genre de vie qu’elle a mené depuis que nous l’avons perdue de vue ? Que vient-elle faire ici, toute seule, en pays étranger ? À d’autres ces histoires de persécution et de tortures ! une honnête femme ne manque jamais d’inspirer la sympathie, et d’ailleurs ne quitte point ainsi sa famille. Pour-